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Lettre d’Afshine Ossanlou, syndicaliste mort en détention ‎

 

Je m’appelle Afshine Ossanlou, syndicaliste iranien. Je conduis un autocar entre ‎différentes villes et je suis actuellement à la prison de Radjaï Shahr en Iran. A l’automne ‎‎2010, je me reposais dans le dortoir des chauffeurs au terminal routier, j’ai été arrêté par ‎des hommes armés en civil et emmené à la section 209 de la prison d’Evine. Je suis ‎resté cinq mois à l’isolement où j’ai été interrogé et torturé. J’ai entre autres été frappé ‎sur la plante des pieds avec des câbles, obligé de courir alors qu’on venait de me ‎frapper, alors que j'avais les pieds couverts de coupures et de plaies, des insultes ‎grossières, des jurons pendant mes semaines d’interrogatoires, 18 heures d’affilée ; j’ai ‎été battu par plusieurs hommes qui m’ont cassé des côtes et des dents. Durant ces cinq ‎mois, ma famille n’avait aucune nouvelle de moi et on ne répondait pas à leurs ‎demandes d’information. On ne m’a même pas permis de téléphoner à ma mère qui est ‎âgée et qui souffrait déjà de l’emprisonnement de mon frère (Mansour Ossanlou, ‎président du syndicat des travailleurs des bus de Téhéran et de sa banlieue)‎‎

Je suis marié et j’ai deux fils. Quand j’ai commencé ma vie de famille, je travaillais ‎comme chauffeur à la base de construction de Khatam dans la province dévastée par la ‎guerre du sud de l’Iran. Le travail était dur : construire de pistes pour traverser la rivière ‎Karkhe, construire des docks de pierre dans le port de Mahshahr et construire des ‎aqueducs depuis la rivière Karkhe jusqu’à Hamideh à Ahvaz. L’amour de mon pays m’a ‎aidé à supporter l’éloignement de ma famille et je rejetais la tristesse.‎

Au bout de deux ans, tous les chauffeurs, intérimaires ou permanents, ont été licenciés. ‎En 1997, j’ai rejoint la compagnie des bus de Téhéran ; je travaillais par vacation de 12 ‎heures, de jour comme de nuit, dans les rues les plus embouteillées de la ville. Pendant ‎que je travaillais dans cette unité, avec mes collègues les plus expérimentés et les plus ‎sincères, nous avons essayé d’améliorer et de moderniser nos conditions de travail et ‎tenté d’empêcher la corruption ; la direction nous a répondu en nous humiliant, en nous ‎ridiculisant ; le conseil islamique du travail a agi de même ; mais nous avons continué à ‎demander nos salaires en retard, nos primes, nos uniformes, des conditions de travail ‎moins dures, moins nocives, moins dangereuses ainsi que la fin des contrats ‎temporaires dont certains duraient quatre à cinq ans.‎

Bien que nous n’ayons pas obtenu satisfaction sur beaucoup de points, que les gens ‎haut-placés nous considéraient comme cupides et ingrats, nous avons continué. La ‎direction nous a menacés de licenciement.‎

Malheureusement, en 2001, alors que je transportais des passagers, j’ai eu un accident ‎qui a causé un mort. J’ai contacté l’assurance de mon entreprise pour qu’elle m’assiste. ‎Mais après quelques entretiens entre la famille de la personne décédée et l’assurance, ‎la somme que l’on me réclamait est passée de 10 à 18 millions de tomans. Et ‎l’assurance s’est déclarée légalement non-responsable.‎

Mes plaintes au département du travail n’ont servi à rien jusqu’à ce que les directeurs de ‎la compagnie acceptent de payer la totalité de la somme si je démissionnais. Et comme ‎je n’avais pas une telle somme d’argent, j’ai été obligé de démissionner, ce qui m’a fait ‎perdre mes quatre ans d’ancienneté, sans compter les années de dur travail dans des ‎conditions difficiles. Cela a eu de graves conséquences pour ma famille. Mon épouse, ‎qui était enceinte à l’époque, a fait une dépression nerveuse. Depuis lors, j’ai travaillé ‎avec l’entreprise Transportation and Shipping. Ce secteur appartient au privé, il n’y ‎existe pas de syndicat fort et indépendant et les salaires sont souvent payés en retard et ‎il était donc difficile pour les chauffeurs de joindre les deux bouts. Et nous avons ‎commencé à discuter de la façon dont nous pourrions améliorer nos conditions de ‎travail.‎

J’ai toujours suivi quatre règles dans ma vie : être fier mon travail, essayer de respecter ‎mes pairs, aimer mon pays et ses habitants et servir la société en élevant mes enfants ‎pour qu’ils puissent lui être utiles.‎

Au bout d’un an de prison dans les sections 209 et 350, sans rien savoir de mon sort, ‎j’ai été condamné à cinq ans de prison par la 15ème chambre du tribunal révolutionnaire ‎présidée par le juge Salavati. En quelques minutes, j’ai été accusé d’être « une menace ‎pour la sécurité nationale » ; je n’ai pas eu le droit d’être représenté par un avocat. J’ai ‎porté objection sur la procédure, mais ni moi ni ma famille n’avons pu voir le dossier ou ‎les chefs d’accusation, encore moins les étudier.‎

 ‎J’ai été condamné sur des accusations sans fondement à cinq ans ; j’en avais déjà ‎effectué deux en préventive. Qu’ai-je fait contre la sécurité nationale ? Je ne suis affilié à ‎aucun parti politique, à aucun groupe ou organisation et toutes mes actions étaient ‎légales et se rapportaient à la défense des travailleurs. Le seul crime que j’ai commis ‎était la revendication des droits des travailleurs et de leurs syndicats ; nous arrêter ne ‎nous empêchera pas de revendiquer nos droits. Il est nécessaire de créer des syndicats ‎légitimes, indépendants avec des droits légaux en accord avec le ministère du travail ‎pour améliorer la sécurité de l’emploi, améliorer les salaires en les indexant sur ‎l’inflation, lutter contre le paiement en retard des salaires, pour des contrats permanents ‎entre travailleur et employeur, pour une sécurité sociale nationale, pour la couverture ‎des travailleurs par une assurance, pour l’arrêt de la privatisation du secteur du ‎transport terrestre et maritime, beaucoup d'entreprises sont déjà privatisées, pour mettre ‎fin à l’exploitation des travailleurs par les employeurs. Si les forces de sécurité et le ‎ministère des transports s’occupent de ces sujets, le secteur du commerce se ‎conformera à la loi. Si ces lois sont appliquées, ce sera tout bénéfice pour la sécurité ‎publique, la productivité augmentera et l’industrie dans son ensemble sera plus ‎profitable. Mon crime et celui d’autres, semblable à moi est d’avoir parlé et reparlé de ce ‎sujet.‎

On discute de ce sujet entre chauffeurs et travailleurs et même avec certains dirigeants ‎du transport, honnêtes et compétents.‎

Tous ces problèmes devraient être portés devant la Fédération Internationale des ‎Travailleurs des Transports (ITF) et aussi devant l’Organisation Internationale du Travail ‎‎(ILO) qui nous a toujours prêté une oreille attentive et a soutenu ses frères dans le ‎monde entier, qui comprend nos peines et nos souffrances. Nous voulons qu’ils portent ‎ces problèmes devant les instances internationales ainsi que devant les organisations ‎qui défendent les droits humains. Nous voulons que tous les travailleurs, surtout ceux du ‎secteur des transports, entendent comment tant de travailleurs ont été condamnés ‎injustement et illégalement. Nous voulons que vous fassions savoir comment, dans ‎notre pays, nous n’avons aucun droit des travailleurs, aucun droit humain, comment, ‎pour la plus petite plainte sur nos conditions de travail, nous sommes injustement et ‎illégalement sévèrement torturés et emprisonnés.‎

Dans l’espoir de lendemains qui chantent pour tous,‎

Afshin Osanlou,

7 août 2012,

prison de Redjaï Shahr, Iran ‎

 

 

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