«Je m'appelle Farzad Kamangar, appelé Syamand, instituteur depuis 12 ans. Pendant l'année précédant mon arrestation, j'enseignais au collège technique de Kamyaran, étais membre du conseil d'administration du syndicat des enseignants techniques du Kurdistan et également le porte-parole de ce syndicat, jusqu'à l'interdiction de ses activités par le gouvernement.
Je faisais aussi partie de l'équipe de rédaction de la revue pédagogique Rouyan (la revue de l'éducation nationale au Kurdistan) jusqu'à ce que cette revue soit également interdite par les renseignements. J'ai également été membre de l'association de protection de l'environnement de Kamyaran (ASK). En 2005, lorsque la ligue de défense des droits de l'homme a commencé ses activités locales, j'y ai adhéré en tant que journaliste…
En août 2006, je suis venu à Téhéran pour m'occuper de la santé de mon frère, un activiste kurde, et j'ai été aussitôt arrêté. J'ai été transféré à un sous-sol sans ventilation et sombre dont j'ignore l'adresse. Les cellules étaient vides et dépourvues de tout objet, lit ou couverture…
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Lors des interrogatoires, je recevais des coups de fouet sur tout le corps pour toute référence à mon identité kurde, ma religion (sunnite, NDLR) ou même à cause de la musique kurde que j'avais sur mon mobile. Ils me faisaient asseoir sur une chaise, déshabillé et les mains liées dans le dos et me donnaient des coups aux endroits sensibles du corps ou me menaçaient de viol et me harcelaient avec le bâton. Ma jambe gauche a été fortement endommagée pendant cette phase d'arrestation et j'ai même perdu connaissance à cause des coups reçus sur la tête et des électrochocs que j'avais subis et depuis mon réveil, j'ai des problèmes d'équilibre et des tremblements involontaires qui continuent jusqu'à ce jour...
Au bout de quelques jours et de multiples sévices, j'ai été à nouveau transféré à la section 209 d'Evine, où j'ai été interrogé et battu dans une pièce au premier étage. Fin août, mon état de santé s'est aggravé à cause des tortures subies… J'ai passé les mois de septembre et octobre en solitaire et j'ai tellement subi de torture que j'ai fait une grève de la faim pendant 33 jours. Lorsqu'ils ont convoqué ma famille pour les menacer en ma présence, je me suis jeté du haut des escaliers pour mourir. Ensuite, encore un mois de solitude, sans visite ni de coup de fil. Et pas de droit de sortie pendant les trois mois en solitaire...
Début décembre, j'ai été transféré à la maison d'arrêt des RG de Kermânchâh, alors que je ne savais toujours pas de quoi j'étais accusé ! Là, ils m'ont déshabillé et battu encore une fois, puis m'ont donné des vêtements souillés et m'ont conduit, toujours en me tapant dessus…
Avec deux ampoules qui pendaient du plafond et sans ventilation, la cellule semblait être une ancienne toilette froide qui empestait. Il y avait juste une couverture très sale. L'espace était si exigu (environ 1m60 x 50 cm) que je me cognais la tête au mur en me réveillant. Pour pallier le manque d'air, je collais mon visage par terre, à la fente de la porte où un petit courant d'air pénétrait. Ils tapaient sur la porte plusieurs fois par heure, pour que je n'arrive pas à dormir. Parfois ils éteignaient la lumière et me laissaient dans le noir…
Dans les quinze derniers jours de ma détention, j'ai été transféré à une cellule encore plus sale et très froide. J'étais insulté et battu tous les jours. Une fois, je me suis même évanoui après le coup que j'avais reçu aux parties génitales… Une nuit, ils m'ont déshabillé et m'ont menacé de viol. J'ai dû commencer à me taper la tête contre le mur pour les faire arrêter. Ils m'ont obligé à avouer avoir eu des relations sexuelles... J'entendais les plaintes et gémissements des autres prisonniers. Certains se suicidaient même. Mi-mars, j'ai été transféré à Téhéran, mais toujours sans droit de visite. Je subissais la pression psychologique, car ils menaçaient en permanence d'arrêter ma famille et continuaient à m'insulter…
Après une longue attente, mon dossier fut envoyé au 30e tribunal, en juin 2007. Mes interrogateurs disaient qu'ils demanderaient la peine maximale pour moi… Ils me détestaient pour ce que j'étais :
kurde, journaliste et militant pour les droits de l'homme. Malgré toutes les pressions, ils n'arrêtaient pas…
Extrait du testament de Farzad Kamangar
«Alors que mes geôliers ont décidé de m'enlever la vie, je décide de donner mes organes aux personnes qui en ont besoin pour leur donner la vie.
Qu'elles soient au flanc du mont Sabalan, sur les rives de Karoun, dans le désert ou regardant le lever du soleil en haut de Zagros.
Je veux donner mon cœur rebelle à un enfant, plus rebelle encore, qui confie ses rêves aux étoiles, les prenant à témoin pour ne pas trahir ses rêves d'enfance une fois grande.
Je voudrais que mon cœur batte dans la poitrine de celui qui pense aux enfants qui dorment le ventre vide, comme mon élève Hamed (16 ans) qui m'écrivait « Même mon souhait le plus petit ne se réalise pas dans la vie ! » avant de se pendre.
Laissez mon cœur battre dans un nouveau corps, peu importe la langue qu'il parle ou la couleur de sa peau, juste qu'il soit l'enfant d'un ouvrier, pour que la peau rêche des mains de son père, me rappelle mes luttes contre les inégalités. Un enfant qui serait peut-être dans quelques années instituteur dans un village éloigné, pour que les enfants viennent l'accueillir sourire aux lèvres, pour partager avec lui leurs rêves et chagrins.
Peut-être qu'alors, ils connaîtront un monde sans faim et qu'ils n'auront plus entendu les mots prison, torture, cruauté et inégalité.»