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IRAN
CENT ANS DU DICTATURE
sous les deux régimes
Monarchique et Islamique
Publié par :
Solitarité avec les Travailleurs en, Iran (S.T.T.I..)
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1. Avant-propos
La Solidarité Socialiste avec les Travailleurs en Iran (SSTI) est une campagne de masse qui ne peut, par sa nature même, se prononcer sur telle ou telle analyse politique détaillée de la situation en Iran, au-delà des principes exprimés dans sa plate-forme.
Les bulletins d’information publiés par son comité directeur, y compris la présente brochure, ne peuvent donc être considérés comme totalement représentatifs des opinions des individus et des tendances qui participent à cette campagne. Ils ne sont publiés qu’à titre d’informations sur les problèmes autour desquels sont organisées nos activités.
Bien que la publication de ces bulletins s’inscrive dans le cadre général de notre campagne, les positions qui y sont défendues le sont sous l’entière responsabilité de leurs auteurs.
Nous vous invitons à nous faire-part de vos commentaires et suggestions sur le contenu de ces brochures. Nous les transmettrons avec plaisir aux auteurs si vous le souhaitez ou si cela s’avère indispensable.
* * *
Cette brochure est consacrée à la situation de la classe ouvrière en Iran. L’auteur a suivi de près, l’évolution du mouvement ouvrier de ces dernières années et fait la lumière sur bon nombre de problèmes auxquels sont confrontés les ouvriers iraniens qui restent à l’avant-garde des luttes en Iran malgré la répression sauvage du régime islamique. Nous espérons que ceux qui nous ont aidé dans notre campagne contre le régime y trouveront des informations utiles et y verront un témoignage de l’importance de leur aide et de leur solidarité.
La Solidarité avec les Travailleurs en Iran s’efforce de mettre l’accent sur la situation du mouvement ouvrier en Iran et consacre la plus grande partie de ses efforts à développer des liens de solidarité avec le mouvement ouvrier démocratique français. L’auteur de la brochure y explique à juste titre en quoi il est important qu’une délégation internationale obtienne du régime islamique de pouvoir visiter l’Iran pour y faire le point sur le respect des droits des travailleurs dans ce pays. Nous approuvons tout à fait ce point de vue et nous efforçons d’obtenir l’envoi d’une telle délégation nous demandons pour cela le soutien de tous.
Vous pouvez nous aider en faisant voter par votre syndicat une condamnation de la répression en Iran et le soutien à cette revendication. Faites-nous parvenir la copie des résolutions ainsi votées. Vous pouvez aussi faire parvenir des lettres de protestation à l’Ambassade iranienne à Paris. Votre adhésion ou mieux encore celle de vos organisations syndicales nous serait bien évidemment du plus grand secours.
Vous savez tous que, malgré les apparences, un certain nombre de gouvernements, dont ceux des Etats-Unis et de la Grande Bretagne, apportent aide et soutien au régime réactionnaire et clérical ces mollahs en Iran. Aidez-nous à dénoncer ce fait. Faites-nous connaître toutes les informations qui pourraient, vous parvenir concernant l’envoi d’armes ou de tous autres matériels au régime iranien.
Il va sans dire que notre campagne a aussi besoin de
soutiens financiers pour continuer et pour étendre son
action. Tout soutien matériel que vous pourrez nous
apporter sera très apprécié
2. L'Iran sous la coupe des grandes puissances
A partir du 19em siècle, la Perse, qui est devenue l'Iran en 1934,
tomba sous l'emprise à la fois de la Russie des Tsars, sa puissante
voisine sur plus de 2000 km, et de la Grande-Bretagne, pour qui elle présentait
le grand intérêt de séparer la Russie justement de
son propre empire colonial en Inde.
Ces deux puissances se surveillaient l'une l'autre et se faisaient contrepoids,
ce qui explique sans doute pourquoi la Perse n'est pas devenue une colonie.
Mais, son indépendance devint de plus en plus formelle.
Le pays en était resté alors à un stade pré-capitaliste
et quasi-féodal, avec des propriétaires possédant
des centaines de villages; des territoires entiers étaient encore
contrôlés par des chefs de tribus nomades.
La dynastie en place pendant le 19em siècle somnolait grassement
grâce aux finances qu'elle extorquait à une paysannerie toujours
au bord de la famine. Ces rois ne bâtirent d'ailleurs pas de force
militaire. Quand ils avaient besoin de troupes, ils appelaient les seigneurs
de guerre des tribus à leur rescousse. Le seul embryon d'armée
était à la fin du 19em et au début du 20em
siècles, une Brigade Cosaque sous le commandement d'officiers russes.
La rivalité entre l'Angleterre et la Russie entravait toute velléité
de modernisation des infrastructures. La Perse n'avait ni routes, ni chemins
de fer ni service postal.
Un Résident politique anglais établit ses quartiers dans
le Golfe arabo-persique, sans avoir de comptes à rendre à
la Cour de Téhéran, sous la protection des canonnières
britanniques. En 1901, quand le pétrole fut découvert dans
cette région, l'Angleterre mit la main dessus.
De son côté, la Russie de Tsars s'implanta dans le nord
du pays, dans les régions autour de la mer Caspienne.
Bref, la Perse fut mise en coupe réglée. Grande-Bretagne
et Russie se firent à attribuer des concessions à long terme
dans toutes les branches possibles. De l'une de ces concessions, Tiers
en personne déclara qu'elle ne laissait de son pays au Chah de Perse
que l'atmosphère!
Les traités officiels conclus par le Chah barrèrent la
voie à la formation éventuelle d'une industrie autochtone,
et entraînèrent l'introduction massive dans le pays de biens
manufacturés par l'industrie européenne.
Il y avait en Perse une certaine bourgeoisie basée sur le commerce,
des marchands, des artisans et des usuriers, regroupés géographiquement
au coeur des villes, dans ce qu'on nomme le "Bazar", qui est leur centre
économique traditionnel. La classe des bazaris avait grossi avec
le développement du commerce au long du 19em siècle, et elle
se trouva frappée de plein fouet par la concurrence des marchandises
importées.
On ne peut pas parler des bazaris, sans parler des religieux chiites.
En fait, il s'agit largement de la même classe sociale, provenant
souvent des mêmes familles.
Le corps des religieux disposait d'une certaine indépendance,
car il contrôlait des fonctions sociales qui sont de nos jours associées
à l'administration de l'Etat : une partie de la justice, les écoles
existantes. Et puis, bien sûr, ils récoltaient directement
eux-mêmes des impôts religieux obligatoires, géraient
des donations, étaient bien souvent propriétaires fonciers.
La plupart de ces ulémas s'associèrent à la résistance
de la bourgeoisie marchande devant la pénétration économique
de l'occident. Ils le firent alors bien sûr au nom de la religion.
Car dans l'Islam chiite le clergé constitue un corps social distinct,
avec ses motivations et ses intérêts propres. L'apparition
d'idées 1aïques dans les couches éduquées était
pour lui un défi. Le clergé craignait de voir à terme
son autorité diminuer, de voir empiéter sur ses prérogatives
traditionnelles. Il n'aspirait pas à voir le pays s'engager sur
la voie du progrès, au contraire.
Cette opposition réactionnaire différait donc radicalement
de celle de la couche sociale d'un genre nouveau qui apparaissait en Perse
à cette époque les intellectuels ouverts aux idées
de nationalisme, de libéralisme, parfois même de démocratie
et de socialisme, en tout cas imprégnés des idéaux
de la Renaissance Européenne et de la Révolution Française.
Pour ces adeptes de réformes modernes, les religieux apparaissaient
pour ce qu'ils étaient obscurantistes, ennemis du progrès,
et ils les fustigeaient.
Du moins jusque dans les années 1890. Car alors survint un événement
qui eut d'importantes répercussions.
En 1891, le Chah concéda à des Anglais le monopole de
l'achat et de la vente du tabac, alors que c'était une source importante
de revenus locaux. Les chefs religieux se portèrent alors à
la tête de toutes les forces d'opposition en déclenchant une
campagne de boycottage du tabac qui eut un tel succès dans toute
la population que le Chah dut renoncer à son projet.
L'affaire de la concession du tabac ouvrit l'ère des luttes d'inspiration
nationaliste en Iran.
A cette occasion, l'élite cultivée constata que les leaders
religieux avaient une capacité considérable de mobilisation
des masses. Dès lors, ce fut, semble-t-il, une tactique consciente
de sa part de garder pour soi ses opinions éclairées, son
scepticisme religieux, voire un franc athéisme, tout en manifestant
dans les interventions publiques le soin de ne pas déplaire aux
ulémas et de se référer elle aussi à l'Islam
pour légitimer ses critiques du régime.
La bourgeoisie persane n'était pas une bourgeoisie puissante
et conquérante. Ses idéologues n'étaient pas non plus
des novateurs hardis, capables de heurter de front l'obscurantisme religieux
au nom d'idéaux de progrès. Au contraire, ils capitulèrent
dès le début devant la religion et ses défenseurs.
3.
La tentative de "Révolution Constitutionnelle"
(1906-1911)
L'alliance entre religieux et intellectuels opposés au Chah se concrétisa
lors du soulèvement nationaliste de 1906-1911, qui reste connu sous
le nom de "Révolution Constitutionnelle".
La défaite de la Russie devant le Japon suivie de la Révolution
Russe de 1905 eurent, entre autres conséquences, pour effet d'interrompre
le commerce dans le nord de la Perse, d'où une hausse brutale des
prix dans les grandes villes. Le gouvernement s'en prit aux marchands comme
bouc-émissaires.
Dans un climat général de mécontentement, cela
mit le feu aux poudres en Iran. A partir de Décembre 1905, l'agitation
alla en s'amplifiant, pour atteindre son sommet en Août 1906. La
foule se trouva confrontée à la Brigade Cosaque qui tira
dans le tas. Une grande partie des notables religieux décidèrent
alors d'entrer en dissidence. De leur côté, plusieurs milliers
de marchands, de membres des guildes d'artisans et de mollahs, occupèrent
les jardins de la Légation de La Grande-Bretagne.
Pendant trois semaines, toute l'activité économique de
la capitale se trouva suspendue, tandis qu'un flot de télégrammes
de soutien arrivait de province. Le Chah finalement capitula et accepta
le principe d'une constitution.
Celle-ci créa un Parlement qui limitait étroitement les
pouvoirs du monarque, tout en accordant aux supérieurs du clergé
chute le droit de s'assurer, en dernière instance, que les lois
adoptées étaient bien conformes à la loi religieuse.
De toute façon, l'épisode de la Révolution Constitutionnelle
n'alla pas loin, car les grandes puissances veillaient au grain. En 1907,
l'Angleterre et la Russie se partagèrent la Perse, à chacune
sa zone.
En Juin 1908, la Brigade Cosaque commandée par un colonel russe
bombarda le Parlement.
Ce n'en était pas tout à fait fini du mouvement, pourtant.
Tabriz, capitale de l'Azerbaïdjan, région située au
nord du pays, à proximité de la Russie, se souleva. Le Conseil
Révolutionnaire de Tabriz regroupait les couches inférieures
de la petite-bourgeoise, plus radicales que les gros marchands. Un Parti
Social-Démocrate y avait même été fondé
en 1904, inspiré du Parti Social-Démocrate Russe, parmi les
travailleurs émigrés de Perse dans les champs pétrolifères
de Bakou. Les constitutionnalistes de Tabriz soutinrent un siège
de dix mois, avec une population réduite à la famine.
Mais en fin de compte, en 1911, l'armée du Tsar de Russie bombarda
Tabriz et lança un ultimatum à Téhéran, avec
l'accord secret des Anglais. Le gouvernement s'inclina en Décembre
1911, le Parlement fut renvoyé et le Chah rétabli dans son
autorité.
4.
L'instauration de la dictature des Pahlavi (1921-1941)
Pendant la Première Guerre mondiale, la Perse, pratiquement occupée
par les Russes et les Anglais et attaquée par les Turcs, alliés
des Allemands, fut un champ de bataille pour les belligérants.
Avec le renversement du Tsar au printemps 1917, les troupes russes présentes
à Tabriz depuis 1909 commencèrent à se désagréger:
soldats russes et démocrates iraniens dansèrent, paraît-il,
ensemble dans les rues de la ville.
Et en Janvier 1918, le gouvernement révolutionner des Bolchéviks
annonça qu'ils renonçaient aux vieux traités conclus
au temps des Tsars, annulaient toutes les dettes russes de la Perse, puis
retiraient les troupes. Cette politique fut célébrée
par des manifestations de masses enthousiastes à Tabriz et à
Téhéran.
Cependant, les mouvements de dissidences régionaux se multiplièrent
: dans le Kurdistan, mais aussi en Azerbaïdjan, et surtout au Guilan,
province voisine bordant la mer Caspienne.
Dans les forêts du Guilan il existait une guérilla animée
par des radicaux du mouvement constitutionnaliste, surtout des petits fermiers
et des religieux, et dont le leader se nommait Kuchik Khan. C'était
un mollah prêchant un populisme à base islamique. Un certain
Rouhollah Khomeiny, alors jeune apprenti curé, voyait, paraît-il,
avec intérêt les idées de Kuchik Khan.... Mais il y
avait aussi dans le Guilan des militants communistes liés aux bolchéviks.
Lorsqu'en Mai 1920, les péripéties de la guerre civile
russe amenèrent l'Armée Rouge dans la région, les
forces coalisées de Kuchik Khan et les communistes proclamèrent
la République du Guilan. Le Parti Communiste de Perse fondé
peu après, envoya 192 représentants au Congrès des
Peuples d'Orient, à Bakou, en Septembre 1920.
Cette république vécut seize mois. L'insurrection ne put
s'étendre, et la République ne tint que tant que l'Armée
Rouge fut présente.
C'est alors qu'à l'insinuation des Anglais, Reza Khan, un colonel
de la Division Cosaque (laquelle était désormais payée
par les Anglais), s'empara du pouvoir, à Téhéran le
21 Février 1921 par un coup d'Etat militaire.
Pour l'Angleterre, il était urgent maintenant d'établir
en Perse un pouvoir d'Etat central fort, pour préserver le pays
de la contagion de la Révolution Bolchevique. Sans compter qu'il
y avait le pétrole qui était devenu important avec la guerre,
au point que l'Etat anglais avait pris la majorité des parts dans
la Compagnie Pétrolière Anglo-Persane.
Reza Khan devint commandant de l'armée et ministre de la Guerre.
Il commença par abattre la République du Guilan. En 1923,
il devint Premier ministre. En octobre 1925, le Chah fut déposé
et l'ancienne dynastie abolie.
L'ambition de Reza Khan était de bâtir en Perse un Etat
moderne, s'inspirant de celui que Mustapha Kémal instaurait en Turquie.
C'était une ambition dans laquelle la plupart des nationalistes
ci-devant démocrates pouvaient en grande partie se retrouver, même
si Reza Khan avait la poignée de fer d'un dictateur militaire. Les
nantis de Perse avaient aussi besoin d'un sauveur pour ramener l'ordre,
l'unité du pays et la sécurité du commerce.
Reza Khan envisageait, dit-on, de faire de la Perse une République
comme la Turquie. C'est devant la réaction d'hostilité catégorique
du clergé chiite qu'il y renonça peut-être sans trop
de peine tout de même, puisqu'il se fit couronner lui-même
Chah quelques mois plus tard, fondant la nouvelle dynastie des Pahlavi.
Reza Chah bâtit une armée de type moderne. Il y eut désormais
des garnisons dans les coins les plus reculés du pays. Et cette
armée lui permit d'abord de se servir : au nom de la famille Pahlavi,
il s'empara de terres représentant plus de deux mille villages.
Comme les féodaux, il voyait le pays comme un fief à exploiter.
Il réalisa une certaine unification du pays sous la botte militaire.
Les chefs de tribus durent résider à Téhéran
; les nomades furent contraints à se sédentariser, dans des
conditions misérables, et les révoltes furent écrasées
par des méthodes de terreur expéditives. C'est alors que
les territoires arabes du sud pétrolier, restés jusque là
pratiquement autonomes sous la surveillance des Anglais, furent intégrés
brutalement sous le contrôle central.
Ce qui ne donna évidemment pas pour autant à l'Iran le
contrôle de son pétrole, sa ressource essentielle, entièrement
aux mains de la Compagnie Anglo-Iranienne (l'AIOC), c'est-à-dire
de l'Angleterre.
La modernisation du pays n'alla pas loin. Cependant, elle laissa des
traces particulières dans la société iranienne.
L'extension de l'autorité de l'Etat se fit notamment aux dépens
de l'hégémonie cléricale traditionnelle. Même
si Reza Chah ne fit pas de la Perse un Etat laïc comme la Turquie
d'Atatourk qu'il admirait tant, sa lutte brutale contre les mollahs fut
une des caractéristiques de son règne. Le plus célèbre
des ayatollahs du moment fut envoyé en exil ; un certain nombre
de religieux disparurent dans des conditions mystérieuses, tandis
que les sbires du Chah coupaient la barbe ou faisaient un mauvais sort
à ceux qui leur tombaient sous la main. La population dans l'ensemble
ne bougea pas pour défendre le clergé. L'intelligentsia,
elle, lui était hostile. Si bien que les commentateurs de l'époque
considérèrent que le dictateur avait mis fin à sa
toute-puissance.
En revanche, le Chah entreprit de ranimer tout ce qui pouvait rappeler
la Perse antique, celle d'avant l'Islam. Il mena une campagne de "persianisation"
- prétendant notamment purger la langue persane de ses mots d'origine
arabe ou turque qui contribua à développer un chauvinisme
persan au détriment des autres minorités nationales du pays.
C'est ainsi qu'il fit de la Perse l'Iran, en 1934, le mot Iran étant
censé signifier que ce pays était le berceau de la race aryenne.
Comme le nom de Pahlavi donné à sa dynastie, il était
destiné à rappeler un lointain passé qu'on dépeignait
comme glorieux.
Parallèlement, cependant, en voulant séculariser la société
par la force, Reza Chah souleva bien des rancoeurs - comme par exemple,
quand il voulut imposer à tous le port du vêtement de style
européen, ou quand, au nom prétendument de l'émancipation
des femmes, le port du voile fut interdit de manière autoritaire.
Et comme en même temps le fossé entre les classes privilégiées
et les masses pauvres s'approfondissait encore, et les inégalités
s'aggravaient pour une partie des masses populaires, la lutte contre la
religion et le clergé pouvait être assimilée non pas
à leur libération mais a l'offensive des nantis et de l'impérialisme
étranger contre elles-mêmes.
Cependant, une classe ouvrière moderne était née
en Iran. Le nouveau régime, baptisé dans l'écrasement
de la révolte du Guilan, était congénitalement anti-communiste.
Le Parti Communiste, qui s'était quelque peu développé
au début des années vingt de 19em siècle , et qui
avait été à l'origine des premiers syndicats, fut
interdit. La plupart de ses leaders politiques ou syndicaux furent emprisonnés
ou s'enfuirent en URSS - où plusieurs d'ailleurs furent liquidés
par les soins de Staline.
Mais des groupes clandestins n'en subsistèrent pas moins. Et
il y eut des grèves importantes, notamment dans l'industrie du pétrole
lors du 1er Mai 1929.
A la veille de la Seconde Guerre mondiale, le mouvement ouvrier, sinon
communiste, existait et avait même fait preuve d'une certaine vitalité.
5. Un mouvement ouvrier combatif trahi par le parti
stalinien
Les sympathies que montrait Reza Chah pour l'Allemagne Nazie devinrent
gênantes pour les Britanniques lorsque ceux-ci eurent besoin d'utiliser
le territoire de l'Iran pour l'approvisionnement militaire de l'URSS, à
partir de Juin 1941. En Août, des troupes russes et anglaises envahirent
l'Iran. Elles contraignirent Reza Chah à abdiquer. Churchill résuma
simplement toute l'affaire: "Nous l'avions amené; nous l'avons remmené"
Son fils Mohammed Reza, âgé de 21 ans, fut autorisé
à prendre officiellement la succession.
Une fois de plus, l'Iran était divisé en zones d'occupations:
au nord les troupes soviétiques occupaient l'Azerbaïdjan; les
troupes britanniques occupaient le sud. Elles furent renforcées
par l'armée américaine en Décembre 1942, et à
la faveur de la guerre, les Etats-Unis devinrent de plus en plus présents
en Iran. Ils finirent par superviser les secteurs clés du gouvernement
iranien, et prirent de ce fait le contrôle de son armée et
de sa gendarmerie.
Les années de 1941 à 1953 furent celles de l'apogée
du parti Toudéh - ce qui signifie parti des masses. C'était
le successeur indirect du Parti Communiste. Il avait été
fondé en Octobre 1941 par des membres du Parti Communiste d'avant-guerre,
des vétérans de l'organisation des premiers syndicats, et
des intellectuels emprisonnés par Reza Chah depuis 1937. Le nouveau
parti, délibérément, ne se disait pas communiste:
il se déclarait partisan de la Constitution de 1906, et se donnait
pour objectif d'unir les forces démocratiques contre l'oligarchie
au pouvoir. Il prenait d'ailleurs soin de se montrer conciliant envers
le clergé et la religion. Le Toudéh se développa considérablement,
au point de devenir le seul parti sérieusement organisé à
l'échelle du pays. Il attira des écrivains de renom. Aux
élections au Parlement. en 1943, il présenta vingt-trois
candidats dont huit furent élus.
La présence de l'armée russe en Azerbaïdjan contribua
certainement à lui mettre le vent en poupe, ainsi que la popularité
dont jouissait l'URSS de Staline à l'époque, dans une fraction
de la petite-bourgeoise. Mais ce furent le mécontentement général,
la situation de crise et l'espoir de changements qui amenèrent à
lui de nombreux travailleurs dans une grande partie du pays. A Téhéran
bien sûr, mais aussi par exemple à Ispahan qui fut l'une de
ses places fortes : quand son leader local, Fedakar, fut élu au
Parlement, les treize usines de la ville s'arrêtèrent et une
foule de trente mille travailleurs l'accompagna à l'aéroport.
Dès 1941-1942, des militants avaient commencé à
reconstituer des syndicats, dont la Confédération, sous direction
Toudéh, regroupa jusqu'à quatre cent mille membres dans les
années suivantes.
A partir de 1945, quand la victoire des Alliés fut acquise, les
dirigeants du Toudéh se décidèrent à organiser
les travailleurs de l'industrie pétrolière. Jusque là,
en effet, ils s'interdisaient l'organisation et s'opposaient aux grèves
dans les industries liées à l'effort de guerre. A Abadan,
pour le 1er Mai 1946, le Toudéh put organiser un défilé
de quelque quatre-vingt mille travailleurs.
Cette force, le Toudéh la plaça entièrement au
service de la politique de Staline. Et celle-ci ne visait évidemment
pas à aider au déclenchement d'une révolution sociale
en Iran. L'heure n'était qu'à l'entente avec les forces nationales
considérées comme progressistes, et il ne s'agissait pas
de se heurter aux puissances impérialistes.
Staline tenta tout de même de se servir de sa position de force
en Azerbaidjan, dans le cadre de ses marchandages avec les puissances impérialistes.
Dans les provinces du nord, la débandade de l'armée iranienne
devant l'invasion soviétique s'était traduite par le réarmement
des tribus, kurdes en particulier. En Azerbaïdjan, les notables profitèrent
du vide momentané pour tenter de réintroduire dans les écoles
la langue de la région, une langue apparentée au turc, l'Azeri,
que Reza Chah avait bannie, et pour mettre sur pied une milice, tandis
qu'on enregistrait une série de grèves à Tabriz. Un
gouvernement autonome de la province fut instauré en décembre
1945, sous la direction de Pichévari, ancien ministre de la République
du Guilan en 1921, qui avait ensuite vécu en exil en URSS.
A peu près parallèlement, des notables kurdes profitèrent
des circonstances pour fonder dans la ville de Mahabad leur propre République,
qui reposait sur les privilégiés traditionnels.
L'année 1946 allait être une année décisive.
C'était le moment où, selon ce qui avait été
convenu entre les Alliés à la fin de la guerre, les troupes
des uns et des autres devaient se retirer de l'Iran.
Staline se fit tirer l'oreille. Il marchanda avec le Premier ministre
iranien Qavam, le retrait de ses troupes, contre une promesse de participation
majoritaire dans une compagnie pétrolière qui serait créée
pour opérer dans le nord du pays.
L'attitude conciliante de Qavam était en grande partie dictée
par la situation sociale menaçante.
Au début de 1944, un soulèvement des ouvriers d'Ispahan
qui donnèrent l'assaut aux réserves de grains des propriétaires,
suivi de la grève générale dans toute la ville, avait
été un signal alarmant. La montée du mouvement ouvrier
culmina lorsque, le 14 Juillet 1946, une grande grève éclata
dans le Khouzestan, ce fief de l'impérialisme britannique. Partie
des travailleurs du pétrole, sur des revendications économiques,
elle engloba quelque soixante mille travailleurs, y compris ceux des services
publics et le personnel domestique des Européens, qui se dressèrent
contre le gouvernement militaire de la province et le contrôle britannique.
Cela dura quatre jours, durant lesquels on se battit dans les rues.
Les grévistes avaient télégraphié à
Téhéran pour demander l'aide de la Confédération
syndicale. Celle-ci se borna à faire état d'une promesse
de l'état-major de ne pas faire intervenir les militaires contre
les grévistes. Bien sûr, ils intervinrent, et, dès
le premier affrontement, firent quarante-six morts et des centaines de
blessés.
Le gouvernement envoya de toute urgence auprès de la Compagnie
pétrolière un groupe de médiateurs qui comprenait
plusieurs leaders nationaux du Toudéh. Quand la Compagnie céda
sur les revendications économiques immédiates, ils s'employèrent
à persuader les travailleurs de ne pas insister et d'arrêter
la grève.
Au mois d'Août, en guise sans doute de récompense pour
ces bons et loyaux services, Qavam prit trois membres du Toudéh
dans son gouvernement. Les travailleurs d'Iran ont eu, eux aussi, leurs
"camarades ministres".
Et le Toudéh parlait de la "voie parlementaire légale
vers un changement social..." .
Mais le rapport des forces avait changé. Féodaux, bourgeois,
militaires, religieux, hommes du Chah, et derrière eux l'impérialisme,
passaient désormais à la contre-offensive. Les ministres
Toudéh furent renvoyés au mois d'Octobre. Et, les autorités
déclenchèrent l'attaque contre les travailleurs combatifs
et les syndicalistes, qui, un peu partout, furent licenciés par
centaines, arrêtés, déportés, enrôlés
de force dans l'armée et même, pour quelques-uns, exécutés.
Sur un autre front, le gouvernement avait aussi maintenant les mains
libres il fit donner ses troupes contre les régimes autonomes de
Mahabad et de Tabriz qui, abandonnés par l'armée russe, n'avaient
plus guère de moyens de résister.
Toute cette affaire ne contribua pas à la popularité du
Toudéh. Ce qui le discrédita encore un peu plus, ce fut la
campagne acharnée qu'il se mit à mener en faveur des prétentions
de Staline sur le pétrole du nord de l'Iran.
Aux élections de 1947, il n'eut que deux élus. Il fut
interdit en 1949.
6. Le combat contre les compagnies pétrolières
sous la direction des nationalistes (1951-1953)
C'était désormais le mouvement nationaliste qui commençait
à tenir le devant de la scène.
Son leader le plus prestigieux et le plus populaire était Mohammed
Mossadegh. C'était un fils de princesse, grand propriétaire
terrien. Partisan d'un régime libéral, se référant
à la Constitution de 1906, il avait fait de la prison sous Reza
Chah. Mais c'était avant tout un nationaliste, ardent opposant à
l'accord pétrolier avec l'URSS, et désormais le champion
de la lutte contre la toute-puissance de la compagnie pétrolière
britannique.
Il regroupa derrière sa personnalité à la fois
des politiciens hostiles au Chah, les marchands du Bazar, et la petite-bourgeoise
de type moderne, éduquée à l'occidentale. Cette coalition
prit le nom de "Front National". Elle trouva un écho dans les masses
urbaines pauvres, et l'appui du clergé, dans un premier temps.
En Mars 1951, le Parlement, à l'initiative de Mossadegh, adopta
une recommandation réclamant la nationalisation du pétrole.
En Avril, les ouvriers du Khouzestan firent une nouvelle grève générale;
des grèves de solidarité et des manifestations de rues eurent
lieu à Téhéran et dans plusieurs grandes villes.
Le Chah appela Mossadegh comme Premier ministre, le 29 Avril, et la
crise se concentra sur la question du pétrole.
Le 30 Avril, sa nationalisation fut votée à l'unanimité,
et la Compagnie Nationale Iranienne des Pétroles fut créée.
Mossadegh déchaîna l'enthousiasme. Pour les masses, la
nationalisation représentait une victoire sans précédent,
une revanche sur des décennies d'humiliation nationale. La population
clamait "Le pétrole, c'est notre sang". Mossadegh fut considéré
comme un héros : il osait défier cet Etat dans l'Etat qu'était
l'Anglo-Iranian, avec ses jardins, ses piscines, ses logements, ses restaurants,
etc., réservés à l'usage exclusif des Anglais. Certains
bâtiments affichaient même, parait-il: "Interdit aux chiens
et aux Iraniens".
L'Anglo-Iranian reversait alors au gouvernement de Téhéran
moins de la moitié de ce qu'elle payait en impôts au gouvernement
de Londres. Son bénéfice net pour la seule année 1950
avait été supérieur à l'ensemble des royalties
touchées par l'Iran en cinquante ans d'exploitation.
La Compagnie, c'est-à-dire le gouvernement anglais derrière
elle, n'était pas disposée à renoncer à une
telle manne et elle riposta à la nationalisation par un refus catégorique
de tout compromis, la fermeture de la raffinerie d'Abadan, le départ
des techniciens, et surtout par son veto contre toute tentative de l'Iran
de commercialiser sa production de pétrole. Avec un temps de retard,
les compagnies pétrolières américaines se déclarèrent
solidaires, et aucun autre pays ne voulut les affronter.
C'était le blocus.
Alors, des émeutes secouèrent les grandes villes. En Juillet
1952, une crise éclata avec le Chah lorsque Mossadegh prétendit
vouloir contrôler lui-même l'armée. Mossadegh reçut
alors le soutien massif de la population de Téhéran qui s'insurgea,
affronta l'armée et ses tanks pendant cinq journées, et finit
par devenir quasiment maîtresse de la ville.
Jusque là, le Toudéh n'avait guère soutenu Mossadegh.
Un de ses principaux slogans était: "Les grands nous volent et Mossadegh
n'est qu'un bourgeois". Il le présentait comme un agent de l'impérialisme
américain.
Mais il fit alors un revirement. Pendant cette crise de l'été
1952, le Toudéh et le Front National appelèrent ensemble
à une grève générale en vue de faire plier
le Chah, qui céda.
Mossadegh apparaissait comme plébiscité. Mais c'est alors
que devant la mobilisation populaire et l'appui du Toudéh, les Américains
décidèrent de l'évincer du pouvoir.
Parallèlement, les religieux lui retirèrent leur soutien.
Ils repassaient dans le camp de la monarchie: la situation devenait trop
dangereuse à leurs yeux, car le Toudéh retrouvait de l'influence
dans les masses. Ainsi, en Juillet 1953, il fut capable de mobiliser dix
fois plus de monde que le Front National. Mossadegh fut finalement renversé
le 19 Août 1953 par un coup d'Etat fomenté nominalement par
le général Zahédi, en fait organisé et financé
par un général de la CIA, l'ambassadeur américain
et l'entourage du Chah.
On fit largement appel aux voyous des bas-fonds de Téhéran
pour donner une apparence de soutien populaire au Chah, rétabli
sur son trône menacé, par les bons offices des agents de l'impérialisme.
Au cours des journées où l'affaire se joua, bien que sachant
que le coup se préparait, Mossadegh avait refusé d'accepter
le soutien du Toudéh. Il avait fait réprimer ses manifestations
de rue. Pour l'organe de presse du Front National qui parut le matin même
du coup, le danger communiste était le plus menaçant et il
fallait l'écarter en priorité.
Les militants communistes, de leur côté, attendirent les
consignes du Parti pour bouger et les consignes ne vinrent pas. Le Toudéh
avait au sein de l'armée une organisation de près de six
cents membres dans le corps des officiers et sous-officiers. Eux aussi
attendirent des ordres qui ne vinrent pas.
"Retour à la normale en Iran", titrèrent les journaux
anglais. Le Front National fut interdit, Mossadegh jugé et emprisonné,
un de ses ministres fut exécuté. Mais la répression
fut particulièrement impitoyable envers les communistes. Il y eut
des milliers d'arrestations, des centaines de condamnations, des centaines
d'exécutions. L'infrastructure clandestine du Toudéh fut
largement démantelée et pas seulement dans l'armée.
7. La dictature du Chah au service de l'impérialisme
La monarchie militaire allait fonctionner pour le compte lié de
l'impérialisme américain et du despote Pahlavi.
D'emblée, elle mit sur pied un instrument de répression
durable, avec l'aide de la CIA : la police politique, la Savak, armature
même de l'Etat. Son nom finit par suffire à inspirer la terreur;
au bout de quelques années, elle se mit à pratiquer systématiquement
la torture.
Le Chah mit beaucoup de soin à empêcher l'apparition de
rivaux possibles. Les généraux eux-mêmes ne pouvaient
se rencontrer, ou venir à Téhéran s'ils n'y étaient
pas en poste, sans son autorisation personnelle expresse.
Et l'impérialisme américain fut bien servi. Son premier
soin avait été de mettre la main sur le pétrole. En
1954, un consortium de compagnies pétrolières fut mis sur
pied, dont des compagnies américaines prenaient 40%. Nelson Rockefeller
put affirmer à Eisenhower en 1962 : "Nous avons pu nous assurer
le contrôle total du pétrole iranien... A l'heure actuelle,
le Chah ne saurait entreprendre le moindre changement dans la composition
de son gouvernement sans consulter notre ambassadeur accrédité
auprès de lui".
Au début des années soixante, sous la pression de l'administration
Kennedy, le Chah annonça quelques mesures de libéralisation
et quelques réformes, englobées pompeusement sous le nom
de "Révolution Blanche", qui comportaient des mesures pour les campagnes.
Celles-ci végétaient à un stade quasi-féodal.
Une grande partie des paysans étaient des métayers, cultivant
surtout pour le tribut à payer en nature aux propriétaires,
tandis qu'une moitié ou presque de la population rurale était
sans terres et sans droits.
Les réformes visèrent à moderniser ce système
archaïque, à le moderniser dans le sens qu'elles aboutirent
à introduire de nouveaux rapports, de type capitaliste, basés
sur la commercialisation de la production agricole, à étendre
le règne de l'argent à la campagne.
Il ne s'agissait pas de réduire les propriétaires à
la misère! Ils eurent mille moyens de tourner les nouvelles lois.
De toute façon, ils récupéraient en argent ce qu'ils
perdaient en droits féodaux sur la terre, et la politique du Chah
ouvrit de larges possibilités de reconversion pour leur fortune
devenue capital. Le bouquet, ce fut en 1968: une loi supplémentaire
permit d'expulser des paysans pour créer de grandes exploitations
de type industriel, bénéficiant évidemment des meilleures
terres et de l'aide de l'Etat.
Ces fermes de type capitaliste reçurent, entre autres privilèges,
le monopole de la culture la plus profitable: celle du pavot, d'où
on extrait l'opium, réautorisée justement à ce moment-là,
en 1969, après treize ou quatorze ans d'interdiction.
Bien des paysans qui avaient tout de même pu racheter quelques
terres quelques années auparavant se retrouvèrent alors expulsés...
Ceux qui se trouvaient sur les terres les plus ingrates, qui n'intéressaient
pas les capitalistes, n'étaient guère mieux lotis, le régime
leur refusant les crédits ou le fuel à bon marché,
et même, dans ces zones officiellement qualifiées de "marginales",
les routes, l'électricité, les écoles ou les dispensaires.
A la fin des années soixante, il y avait bien eu en effet des
changements dans les zones rurales. Une grande partie de la paysannerie
avait été déracinée. Si bien que le pays cessa
alors de couvrir ses besoins alimentaires et devint le premier client des
multinationales de l'agro-business pour le Proche-Orient.
L'impérialisme trouva une autre grande source de profits, indirecte,
avec la mise sur pieds de l'armée du Chah. Officiellement, cette
armée était nécessaire pour protéger le monde
dit libre contre l'URSS. En fait, comme l'écrivit un célèbre
journaliste américain, Walter Lipmann, "... la raison majeure
de notre soutien de l'Iran n'est pas son importance stratégique
lors d'une guerre mondiale éventuelle, son seul but est de maintenir
le gouvernement du Chah qui nous est favorable".
Et en effet, cette armée ne fut jamais employée que contre
les Kurdes, contre divers groupes de nomades, contre les émeutes
dans les villes et les étudiants - ou comme gendarme de la région,
face aux peuples des Etats arabes.
Ce rôle de gendarme, les puissances impérialistes ne tenaient
plus en effet alors à l'assumer elles-mêmes directement. Lorsque
la Grande Bretagne se décida à retirer ses forces du Golfe
arabo-persique, au début des années soixante-dix, le Chah
prit le relais. A titre de démonstration, il envoya ainsi en 1973
un corps expéditionnaire au secours du sultan d'Oman menacé
par une guérilla dans une de ses provinces.
Les trusts américains fournirent des armes à qui pouvait
payer. Et le Chah pouvait payer: en 1973, les prix du pétrole brut
furent multipliés par quatre, et les revenus de l'Etat iranien passèrent
des trente-quatre millions de dollars de 1953 à cinq milliards de
dollars.
Ce fut l'un des plus grands booms de la vente d'armes de l'histoire.
Le Chah d'Iran devint le plus grand client de l'industrie militaire américaine.
Commentaire du New York Times, en 1973, à la suite d'une commande
de deux milliards de dollars à l'industrie aéronautique:
"cette affaire est hautement profitable aux Etats-Unis. car elle va
permettre aux fabricants d'armes de se tirer de la dépression post-vietnamienne,
et elle va aider â combler le déficit de la balance des paiements".
8.
Des contradictions sociales explosives
Le boom du prix du pétrole eut bien sûr des retombées
en Iran. La population n'eut droit qu'à voir passer la richesse,
mais les riches, eux, s'enrichirent plus que jamais. Autour de l'Etat et
de la Cour, des sommets de l'armée bien placés auprès
des multinationales, de la haute administration censée répartir
la manne et complètement corrompue, se développa encore plus
qu'avant toute une clientèle, une couche de parasites, avides des
fameux "pétrodollars".
La famille du Chah donnait l'exemple : elle amassa une fortune qui n'a
pas été vraiment chiffrée. Lorsque le Chah fut chassé,
en 1979, on a parlé de vingt milliards de dollars... Une notable
partie des revenus du pétrole, par exemple, avait ainsi disparu
des comptes de la Trésorerie de l'Etat pour prendre secrètement
le chemin des banques occidentales.
Par la même occasion, ce fut une époque bénie pour
les industriels des pays occidentaux. Un de ces personnages avait déjà
dit au journal Le Monde, quelques années avant: "Ici, il n'y
a pratiquement pas de limites aux profits". L'Iran devint un Eldorado
pour les hommes d'affaires. Ils se bousculèrent dans les salles
d'attente des ministres.
Les grands de ce monde n'avaient rien à redire au régime
du Chah. Les dirigeants russes ne faisaient pas la fine bouche: on échangeait
des visites. De même ceux de la Chine, dès lors que le Chah
eût reconnu leur gouvernement. En Occident, aux Etats-Unis en particulier,
le Chah était alors présenté comme un grand modernisateur
dont les seuls problèmes venaient de ce qu'il gouvernait un pays
arriéré.
Mais qu'importait, à ceux qui en profitaient, que, devant les
commandes massives, l'infrastructure du pays ne suivît pas, que les
entrepôts fussent saturés aux frontières et que les
marchandises pourrissent, faute de camions ou de chauffeurs pour les conduire,
que des matériels soient abandonnés dans le sable au bord
de routes d'ailleurs insuffisantes. Et qu'importaient aux Grands de ce
monde en fin de compte les horreurs et les massacres perpétrés
par la Savak. Ce n'était pas leur problème.
La capitale, Téhéran, présentait pourtant un concentré
des contradictions sociales en train de devenir explosives. Il y avait
en fait deux Téhéran juxtaposés, deux planètes.
Au nord, à l'ombre d'un pouvoir mégalomane qui cultivait
la nostalgie impériale et imposait le culte du Chah, des palais,
des villas somptueuses, des voitures et des vêtements de luxe. On
se transportait pour une réception de Noël à Nice, ou
pour un déjeuner à Munich; les princesses faisaient venir
d'Europe l'eau minérales pour leurs chiens. Le bon ton voulait qu'on
exhibât sa richesse et qu'on rivalisât avec ostentation dans
l'imitation du mode de vie et des moeurs de la grande bourgeoisie occidentale.
Mais tous ces riches et ces récents enrichis dansaient sur un
volcan. Depuis les années cinquante, la population totale de l'Iran
s'était multipliée par deux, dont la moitié désormais
dans les villes. Téhéran, avec quelque chose comme cinq ou
sept millions d'habitants, avait pratiquement quintuplé sa population
en vingt ans. Les paysans chassés des campagnes par la misère,
l'endettement ou l'absence de tout travail, y avaient massivement afflué.
Et le sud, c'était d'abord des zones de logements-taudis pour les
plus favorisés, si on ose dire, les ouvriers ayant un emploi relativement
stable, même misérablement payé ; et puis des zones
entières de bidonvilles proliférant jusque sur le désert,
sans eau, sans électricité, où survivait dans l'espoir
d'un emploi occasionnel une population déracinée, qui avait
quitté des villages en retard de plusieurs siècles pour rejoindre
le 20em siècle : le 20e siècle, en effet, car tel est
le visage qu'il offre aux masses de plus en plus considérables des
agglomérations du Tiers Monde, celui du dénuement le plus
total.
De ce que les dirigeants appelaient la modernisation de l'Iran, les
masses populaires ne pouvaient voir que le mépris et l'arrogance
des privilégiés, quand ce n'était pas la brutalité
et la contrainte. L'Occident et le Chah se retrouvèrent associés
dans la même haine. Ainsi que, du même coup, tout ce qui se
réclamait du modernisme, puisque c'était les exploiteurs,
les profiteurs et plus généralement les privilégiés,
qui se faisaient les porteurs des idées irréligieuses et
des moeurs nouvelles.
9.
L'opposition à la dictature
Les forces politiques nationales qui avaient marqué la période
de l'après-guerre avaient été réduites au silence.
Pourtant, dans les années soixante, une relève de gauche
s'était forgée au sein de la jeunesse universitaire.
Des petits groupes clandestins de discussions débattaient de
la Chine, du Vietnam, de l'Algérie, de Cuba, lisaient Régis
Debray et Franz Fanon, critiquaient l'électoralisme et l'attentisme
de leurs aînés du Toudéh et du Front National mossadeghiste,
et se voulaient pour la plupart marxistes.
Les Feddayins du Peuple
Le groupe qui prit plus tard le nom de "Feddayins du peuple d'Iran"
se forma dans le milieu de ces années 60, à l'initiative
de jeunes intellectuels, dont certains venaient des milieux proches du
Toudéh et d'autres de l'aile gauche, laïque, du Front National
de Mossadegh.
Pour leur programme, le mieux est sans doute de les citer:
"Après mûre délibération, nous arrivâmes
à la conclusion qu'il était impossible de travailler parmi
les masses et de créer de grandes organisations du fait que la police
avait pénétré tous les secteurs de la société.
Nous décidâmes que notre tâche immédiate était
de former des petites cellules et de nous lancer physiquement à
l'assaut de l'ennemi de façon à détruire l'atmosphère
de répression et à montrer au peuple que la "lutte armée"
était la seule voie de libération possible".
Ou encore:
"...une guerre de guérilla est nécessaire, non seulement
pour la victoire militaire, mais aussi pour mobiliser les masses".
Juin 1963 : Khomeiny contre le Chah
De leur côté, au début des années soixante,
les religieux, et surtout les jeunes mollahs, discutaient beaucoup eux
aussi, en particulier du rôle que le clergé devait jouer selon
eux, dans la vie politique.
C'est alors que Khomeiny se lança dans l'opposition ouverte lorsque
le Chah entreprit sa "Révolution Blanche". Une partie des
religieux se sentait sans doute lésée par les projets de
réforme agraire, mais Khomeiny axa ses anathèmes surtout
contre le projet de loi électorale qui donnait aux femmes le droit
de vote, et aux minorités non-musulmanes l'accès aux postes
publics. Il déclarait y voir un "complot des impérialistes
et des sionistes".
Dans un premier temps, Khomeiny proposait apparemment un compromis:
"Pourquoi le gouvernement essaie-t-il, par tous les moyens, de s'aliéner
le soutien du clergé ? Pourquoi ne se repose-t-il pas plutôt
sur lui?...Il refuse de comprendre que sans le clergé le pays n'a
pas de colonne vertébrale...".
Mais le Chah traita tous les mollahs de "sodomites" et d'"agents à
la solde des Britanniques". Khomeiny, lors d'un discours incendiaire, dénonça
alors publiquement le monarque: "Monsieur le Chah, votre Excellence,
vous n'êtes qu'un misérable". Son arrestation, le 3 Juin
1963, déclencha des émeutes et des manifestations que le
Chah fit réprimer dans un bain de sang. En 1964, Khomeiny, relâché,
lança de nouveau des attaques, cette fois contre des privilèges
accordés aux Américains vivant en Iran. L'impérialisme
américain, ennemi N°1 de tous les musulmans, devint un de ses
principaux thèmes, en même temps que la détresse du
peuple. Du coup, il fut envoyé en exil, d'abord en Turquie, puis
en Irak.
En Iran, Khomeiny laissait des disciples qui maintenaient les contacts,
qui collectaient des fonds en son nom, et qui poursuivaient la propagande
et l'agitation politiques dans des sortes de cellules clandestines ayant
pour couvertures des activités éducatives ou des associations
islamiques relativement à l'abri de la répression - un réseau
militant dirigé par l'ayatollah Motahari. Ce réseau restait
assez lâche, ne représentant encore qu'une minorité
du clergé.
Les Modjahedines du Peuple
Les événements de 1963 donnèrent naissance à
une autre formation politique d'opposition radicale en Iran. En 1961, Mehdi
Bazargan, un proche de Mossadegh, et militant musulman, et un ayatollah
qui était resté fidèle à Mossadegh jusqu'au
bout, l'ayatollah Taleghani, avaient fondé un Mouvement de la Libération
de l'Iran. Ils préconisaient un Islam rénové, combinant
ses valeurs traditionnelles avec une phraséologie socialisante.
Mais la répression sanglante de Juin 1963 convainquit un certain
nombre de jeunes de ce mouvement qu'on ne pourrait venir à bout
de la tyrannie du Chah que par une lutte armée. Ces jeunes musulmans
fondèrent en 1965 l'organisation des Combattants du Peuple d'Iran,
les Modjahedines du Peuple. La plupart des Modjahedines furent des intellectuels
et des étudiants issus le plus souvent de familles de la petite-bourgeoise
traditionnelle et pieuse. Eux aussi, comme les étudiants de gauche,
les Feddayins, étaient influencés par les luttes de l'Algérie,
du Vietnam, de Cuba, plus tard des Palestiniens. Ils se disaient progressistes
et révolutionnaires, mais se référaient à l'Islam:
"Notre organisation est arrivée à la ferme conclusion
que l'islam et spécialement le chiisme jouera un rôle majeur
comme source d'inspiration pour amener les masses à rejoindre la
révolution".
Ces thèmes furent particulièrement popularisés
à la fin des années soixante et au début des années
soixante-dix, par un penseur politico-religieux revenu d'Europe, Ali Shariati.
Il exaltait tout particulièrement dans le chïisme le culte
du martyr, le moteur de l'histoire selon lui. Il dénonçait
la faillite de la démocratie bourgeoise occidentale, et mettait
l'accent sur la nécessité pour la jeunesse de retrouver son
"identité culturelle" que l'intoxication pro-occidentale de la dictature
risquait de lui faire perdre, selon lui.
1971-1977 : l'impasse de la guérilla
Le 8 Février 1971, un poste de gendarmerie, dans la région
montagneuse et forestière du Guilan, fut attaqué par un groupe
de Feddayins. Ce fut le signal du déclenchement des opérations
de guérilla auxquelles les Feddayins, comme de leur côté
les Modjahedines, se livrèrent jusqu'en 1977 en Iran, avec un héroïsme
sans limites. Désormais, les affrontements meurtriers avec la Savak
ou l'armée, les attaques de banques, les assassinats de personnalités
militaires ou policières, iraniennes et américaines, les
attentats à la bombe contre des sièges de la police, des
locaux de compagnies britanniques ou américaines, n'allaient plus
cesser non plus que les arrestations, les tortures à mort et les
exécutions.
Cinq à six ans plus tard, l'espoir que les hauts faits des jeunes
combattants provoqueraient l'étincelle d'où jaillirait le
soulèvement des masses ne s'était pas matérialisé.
Et quand, en 1977-1978, ils jugèrent bon de décréter
la pause des opérations de guérilla, ils reconnurent qu'ils
restaient largement coupés de ces masses de plus en plus considérables
de pauvres, au sein desquelles gagnait en influence un clergé dont
personne ne contestait la démagogie religieuse.
Et pourtant, les Feddayins comme les Modjahedines avaient réussi
à survivre en tant que groupes. Malgré les morts par centaines
qu'ils laissèrent dans ce combat, ils avaient recruté régulièrement
de nouveaux membres. Ils avaient des armes, des publications clandestines,
des cellules dans les universités, parfois aussi des militants dans
les usines et les quartiers.
De son côté, le Toudéh, qui avait souffert politiquement
du soutien que l'URSS apportait au Chah, semble également avoir
retrouvé une certaine implantation clandestine en Iran à
cette époque, à l'université de Téhéran
et dans les grands centres industriels.
10.
La montée du mécontentement
A partir de 1975, l'inflation s'accéléra. Les exportations
pétrolières chutèrent en 1977 de près de 30%.
La hausse considérable des loyers commença à rejeter
de nombreux petits salariés eux aussi dans la périphérie.
L'arrêt d'un certain nombre de grands projets en cours entraîna
un accroissement du nombre des sans-travail.
De son côté, une partie de la bourgeoisie du Bazar commençait
à regimber. La manne pétrolière lui passait largement
sous le nez. Dans la concurrence avec ceux qu'elle appelait les "pétro-bourgeois"
pour l'accès aux affaires lucratives, au crédit des banques
de l'Etat en particulier, elle était moins bien placée.
Cette petite-bourgeoise marchande traditionnelle se sentait d'autant
plus lésée que le Chah lança alors des attaques contre
le Bazar et ses boutiques "mangées par les vers", comme il disait.
Le Bazar était d'ailleurs la victime désignée de la
démagogie du Chah, qui parla même d'imposer l'amélioration
de la condition de ses salariés, et entreprit de lui faire porter
le chapeau pour la hausse des prix. En 1975-1977, parmi les petits patrons,
commerçants et colporteurs, deux cent mille furent frappés
d'amendes, 23 000 furent déportés de leur ville, 8 000 connurent
la prison.
Dans le même élan, le Chah marcha alors sérieusement
sur les plates-bandes du clergé chiite. Il réduisit brutalement
les subventions officielles pour l'entretien des mosquées et des
écoles coraniques. Il lança une offensive contre les dispositions
islamiques en matière de famille, contre les jeunes filles qui portaient
le voile à l'université, contre ce qu'il appelait "la réaction
noire" des mollahs, dont certains furent emprisonnés et même
assassinés. La plus grande partie du clergé allait militer
désormais contre le Chah.
En 1977, il y avait, selon Amnesty International, entre 25 000 et 100
000 prisonniers politiques en Iran.
Pourtant, à la suite des déclarations du président
américain Carter sur la nécessité de respecter les
Droits de l'Homme, des intellectuels commencèrent à ouvrir
la bouche. Ils réclamèrent la reconnaissance de la Société
des Ecrivains Iraniens, clandestine depuis 1969. Ils organisèrent
une série de soirées culturelles à l'Institut Goethe
de Téhéran, où des milliers de gens écoutèrent
des poésies à la gloire de la liberté.
En Décembre, presque toutes les universités étaient
soit en grève, soit fermées. Du coup, l'ancienne opposition
des mossadeghistes se réveilla, elle aussi, et un nouveau Front
National fut reconstitué.
Ce regain d'activité politique au sein de l'intelligentsia avait
pour thème la reconnaissance des Droits de l'Homme, la correction
des abus, l'application de la Constitution restée toujours formellement
en vigueur. Cela demeurait très modéré.
Le soulèvement des masses changea tout.
Signes précurseurs la multiplication des grèves d'une
part et de l'autre, des batailles rangées de plusieurs heures, qui
se multiplièrent pendant l'été 1977, dans les bidonvilles
de Téhéran, en réaction aux destructions et aux expulsions
décidées par les autorités.
En représaille, des Feddayins réussirent à faire
sauter l'Hôtel de Ville de Rey, au sud de Téhéran.
Mais, aux masses populaires qui entraient en effervescence, il n'y eut
que Khomeiny pour à la fois proposer une alternative politique claire,
et une forme de lutte impliquant ces masses elles-mêmes.
11.
Les masses dans la rue
Le 7 Janvier 1978, le quotidien pro-gouvernemental Ettela'at publie un
article rempli d'insultes contre Khomeiny. Cela met le feu aux poudres
dans la ville religieuse de Qom, où les étudiants en théologie
sont mitraillés par l'armée.
Ces événements sanglants de Qom marquent le début
d'un cycle de soulèvements et de répression rythmé
par les cérémonies commémoratives particulières
au culte chute. En 1978, ces rituels se transforment en actes de protestation
politique.
Le quarantième jour après les mitraillages de Qom, des
manifestations secouent plusieurs villes, notamment Tabriz. L'armée
tire, et de nouveau les morts se comptent par dizaines. Mais la foule a
crié "A bas le Chah!"
Les intellectuels et politiciens nationalistes, avec leur modération
et leur appel au respect des Droits de l'Homme, sont bien dépassés.
Mais les Modjahedines et les Feddayins aussi, avec leurs appareils militaires
coupés des masses. Tous laissent les mollahs organiser les manifestations
un peu partout, se contentant. de s'y rallier, sans chercher à proposer
soit autre chose, soit une autre politique.
Pourtant, à partir du mois de Mars, on signale des grèves
dans une série de villes.
Jusqu'au milieu de 1978, les manifestations de rue rassemblent surtout
les étudiants, les bazaris, les séminaristes. Désormais
la population pauvre des villes entre en scène, y compris les ouvriers
d'usines et du bâtiment, et les manifestations deviennent massives.
Les 10 et 11 Août, Ispahan se soulève. Malgré une centaine
de morts, malgré la loi martiale, il faut deux jours à l'armée
pour en reprendre le contrôle.
Et là-dessus, le 19, c'est le drame d'Abadan, capitale de l'industrie
du pétrole. L'incendie d'un cinéma en pleine après-midi
fait cinq cents morts. Le Chah accuse les religieux intégristes.
Mais toute la population attribue cette horreur à la police locale.
Dans l'émoi général, le gouvernement affiche quelques
concessions en direction des milieux religieux et promet des élections
libres pour l'année suivante. Mais cela ne peut plus rien arrêter.
Désormais, les manifestations sont dominées par un cri unanime:
"Mort au Chah!"
12. Toute l'opposition au Chah alignée derrière
Khomeiny
Mais dès ce moment-là, Khomeiny n'est pas seulement occupé
à promouvoir une lutte intransigeante contre le Chah. Il l'est tout
autant à assurer son hégémonie et son contrôle
sur le mouvement populaire.
Il déclarait: "Le mouvement islamique ... a été
fondé par le clergé avec le soutien de la grande nation iranienne.
C'est au clergé qu'il revient de le diriger, à l'exclusion
de tout parti, front ou personnalité politique". Et il menaçait
les partis et groupes opposés au Chah qui "avaient rejoint le
peuple, uniquement par souci de leur intérêt".
Or, en face, justement, loin de contester politiquement ou pratiquement
à Khomeiny son emprise sur les masses, Toudéh, Modjahedines
et Feddayins, sous le couvert d'unité, s'emploient au contraire
à lui faire allégeance et à se mettre à sa
remorque.
Fin Août-début Septembre, le Comité Central du Toudéh
fait savoir qu'il "invite toutes les forces et les groupes opposés
au régime du Chah à former un front de coalition nationale
sur la base d'un programme national et démocratique, en mettant
de côté toutes les querelles et tous les préjugés,
afin de ne pas manquer l'opportunité qui se présente".
Les Modjahedines (si on en croit un ouvrage rédigé à
leur gloire par le frère de leur dirigeant, Massoud Radjavi) avaient
pour ligne depuis Juin: " La nécessité de l'union de toutes
les forces contre la dictature. 2. Tous les slogans doivent être
anti-dictatoriaux. 3. Le devoir de toutes les forces progressistes est
d'éviter et d'empêcher les divisions. 4. Souligner les cas
de désaccord, c'est amener de l'eau au moulin du régime.",
et enfin : il faut insister sur le leadership de l'ayatollah Khomeiny
en insistant pour que toute négociation en son absence soit condamnée".
Début Septembre 1978, c'est la fin du Ramadan. Des défilés
de plusieurs centaines de milliers de personnes amènent à
nouveau leur lot de morts. Khomeiny appelle à commémorer
ces martyrs. La manifestation prévue à Téhéran
est interdite. Or un demi-million, un million de personnes peut-être,
bravent l'interdiction et répondent à son appel.
Le 8 au matin, la loi martiale est décrétée pour
six mois dans les plus grandes villes du pays. L'administration en est
confiée au général Oveyssi, le boucher de la répression
de 1963. C'est un vendredi, qui restera connu comme le "vendredi noir"
: il commence par une tuerie parmi les étudiants rassemblés
près de la place Jaléh. Toute la journée, des batailles
de rues opposent la jeunesse de Téhéran aux fusils-mitrailleurs
et aux mitrailleuses lourdes de l'armée. Il y a, en ce "vendredi
noir", deux mille et peut-être quatre mille tués rien qu'à
Téhéran.
Ce 8 Septembre 1978, une étape est franchie. "Nous tuerons le
Chah" devient un slogan populaire.
13.
La classe ouvrière entre dans la lutte, mais
sans direction propre
Depuis le mois d'Août, la classe ouvrière ne fait pas que
participer aux grandes manifestations. Un peu partout, les travailleurs
se mettent en grève. A la mi-Octobre, ce sont les trente mille ouvriers
de l'aciérie d'Ispahan, de même que ceux de l'usine de tracteurs
de Tabriz, ou que les mineurs de charbon. Et dans ces grèves, les
revendications sont d'abord politiques: libération des prisonniers
politiques, arrestation des responsables du massacre du 8 Septembre et
des personnalités corrompues, voire dissolution de la Savak.
Le coup le plus dur pour le régime vient de la raffinerie d'Abadan
qui s'arrête presque totalement le 18 Octobre.
A cette époque, si la population de l'Iran avait doublé
par rapport à 1953, le nombre des salariés concentrés
dans l'industrie moderne, le pétrole, les mines, la construction
et les transports, avait été, lui, multiplié par cinq
au moins - entre un million et demi et deux millions de personnes. En général,
c'était donc un prolétariat de formation récente,
qui n'avait connu que la dictature et qui, s'il avait parfois mené
des grèves, n'avait aucune expérience d'organisation.
A Abadan, c'est une classe ouvrière plus ancienne qui - au moins
en partie - a connu les grandes luttes pour la nationalisation du début
des années 50. Et elle fait même figure de privilégiée,
avec la stabilité de l'emploi, de meilleures conditions de travail
et de vie. L'entrée des travailleurs du pétrole dans la lutte,
à l'automne 1978, a un retentissement particulier.
Ainsi, la classe ouvrière iranienne, bien réelle, entre
en lutte aux côtés du reste des masses populaires contre la
dictature haïe du Chah. Elle le fait même à sa manière,
sur son terrain, dans les usines, par la grève. Et l'attention que
lui portent ces masses populaires montre le poids potentiel qu'elle pourrait
avoir dans le mouvement.
Hélas, il n'y a aucun parti politique pour souligner cette possibilité
et lui proposer une politique qui lui permettrait de prendre la tête
du mouvement des masses.
Alors, la Classe ouvrière peut bien entrer en lutte d'une manière
spécifique, se doter même d'organisations autonomes comme
des Comités de grève qui surgissent ici ou là, attirer
l'attention du reste des masses, elle reste noyée dans le reste
du mouvement populaire. Et loin, de proposer sa politique et son leadership
au mouvement, elle s'aligne au contraire avec celui-ci derrière
les mollahs et Khomeiny, aidée en cela par le Toudéh et les
Feddayins comme par les Modjahedines, tous ceux en quelque sorte qui avaient
prétendu, à un moment ou à un autre, à un degré
ou à un autre, être les représentants de ses intérêts.
14. Du"vendredi noir" au "dimanche rouge" de Téhéran
De la mi-Octobre jusqu'au 5 Novembre 1978, un vent de relative liberté
parait souffler en Iran. Les journaux, après trois jours de grève
qui font relâcher la censure, reparaissent à Téhéran
et informent de ce qui se passe en province. A l'université, une
foule de jeunes défilent à l'occasion d'une semaine de solidarité
avec les prisonniers politiques.
Des centaines de ceux-ci sont libérés : ex-guérilleros,
bien sûr, mais aussi simples lecteurs d'ouvrages interdits, par exemple.
Jeunes de 16 ans ou vétérans des geôles viennent à
l'université raconter leur calvaire. De tels récits, par
des personnes souvent mutilées, sont un choc pour beaucoup.
La révolte de la jeunesse devant les cruautés du régime
devient plus dure que jamais, sa politisation s'accentue aussi. Des sortes
de manifestations politiques concurrentes sur le campus attestent de la
lutte des idées entre la gauche et les Modjahedines en particulier,
quelquefois au bord de l'affrontement, mais s'ils se livrent à une
compétition entre. Eux, ces différents groupes ne le font
pas avec Khomeiny, qui reste le leader incontesté, au-dessus de
tous. C'étaient pourtant lui et sa politique qui importaient.
Ces quelques semaines de répit relatif après le massacre
du 8 Septembre, alors que la grève du pétrole commence à
toucher sérieusement le gouvernement à son point sensible,
sont brèves.
Au début novembre, même pas deux mois après la proclamation
de la loi martiale, une marche silencieuse traverse Téhéran
jusqu'à la maison du populaire ayatollah Taleghani qui vient d'être
libéré de prison. Le 4, c'est l'explosion des étudiants
et des lycéens, des jeunes, qui se répandent en attaquant
tous les symboles de l'impérialisme et du régime. L'armée
fait à nouveau des dizaines de morts. Le 5, l'armée coupe
la ville en deux pour empêcher sans doute que les bas quartiers n'envahissent
ceux des nantis. La foule met Téhéran en feu: banques, ambassade
de Grande-Bretagne, cinémas, commerces d'alcool, tout brûle.
C'est le "dimanche rouge" de Téhéran.
Depuis un mois, Khomeiny se trouve près de Paris, à Neauphle-le-Château,
dans les Yvelines. L'Irak, pour plaire au Chah, l'a en effet expulsé.
A Neauphle, entre autres visiteurs, il a reçu Karim Sandjabi, du
Front National, et Mehdi Bazargan, du Mouvement de Libération de
l'Iran. Le 5 Novembre, le matin du "dimanche rouge", Sandjabi annonce qu'il
est parvenu à un accord avec Khomeiny, accord sur la base de la
volonté d'instaurer un régime "fondé sur les principes
de l'Islam, de la démocratie et de l'indépendance".
Devant le déferlement populaire, les politiciens du Front National
s'alignent complètement eux aussi derrière Khomeiny.
15. L'armée contre les grévistes du pétrole
Ce même 5 Novembre, le Chah nomme un gouvernement militaire, avec
le général Azhari à sa tête. Les journaux disparaissent,
l'armée quadrille les villes et entend contraindre les travailleurs
à reprendre la production du pétrole.
A Abadan, le 4 Novembre, un millier de travailleurs occupent les bâtiments
de l'administration pendant la nuit. Vers minuit, le gouverneur militaire,
contrairement à ses promesses, envoie la troupe. Résultat:
11 blessés dont deux vont mourir. Les enseignants manifestent en
solidarité avec les ouvriers. A partir du 7, toutes les nuits, les
militaires arrêtent des ouvriers à leur domicile. La direction
annonce aux délégués des grévistes :
"Si vous ne reprenez pas le travail, vous serez tués".
L'armée ré-intervient, faisant de nouveaux morts et blessés.
Les villes Abadan et Khorramchar sont en état de siège, particulièrement
les cités ouvrières. Un gréviste dit à un journaliste:
"...Il n'y a pas vraiment d'organisation. C'est l'armée qui nous
a forcés à nous organiser et même à nous armer.
Nous écoutons Khomeiny et nous lisons les tracts des Modjahedines".
Eh oui, les prolétaires d'Iran étaient au coeur de la
lutte, et payaient un lourd tribut à cette lutte. Mais parce qu'ils
étaient sans organisation propre et sans conscience de leurs intérêts
spécifiques de classe, ils la menaient non pour eux-mêmes,
mais derrière un homme et des partis qui représentaient fondamentalement
leurs exploiteurs, même si à court terme, ils combattaient
le même ennemi.
Pendant le mois de Novembre, la production de pétrole remonte
sensiblement. Mais les travailleurs des champs de pétrole et des
raffineries ne sont pas matés. La grève reprendra au mois
de Décembre.
Cette grève, jointe à toutes les autres à travers
le pays et la paralysie des exportations, donnèrent bien le coup
de grâce au régime impérial, et à ce titre,
les ouvriers grévistes eurent droit à force coups de chapeau
de la part de l'opposition au Chah.
Quelques témoignages laissent pourtant penser que les khomeinystes
rencontrèrent des difficultés, en particulier lorsqu'ils
voulurent faire assurer la production pétrolière à
usage interne.
Mais pour que la classe ouvrière constitue une force politique
indépendante, il aurait fallu bien autre chose que les réticences
et les méfiances de la part de certains travailleurs. Il fallait
une politique qui lui permette de se constituer en force autonome, dans
un premier temps, pour, dans un second, être capable de contester
laïque autonome pour la classe ouvrière. Ils n'avaient pour
eux-mêmes aucune autre perspective que le suivisme vis-à-vis
de Khomeiny.
16. Les journées de Décembre 1978
Pendant ce temps, alors que le pétrole venait à manquer même
dans les demeures impériales, l'aéroport international de
Téhéran était le théâtre depuis plusieurs
semaines d'un véritable défilé de grands du régime,
de princesses, d'anciens ministres, de milliardaires, de familles entières
de la grande bourgeoisie, qui fuyaient le pays : plus de cent mille entre
le début d'Octobre et la fin Décembre.
A la mi-Septembre, déjà, les employés de la Banque
Centrale donnaient une liste de 177 personnages ayant transféré,
d'après eux, plus de deux milliards de dollars à l'étranger.
Malgré le gouvernement militaire, l'approche du mois de décembre
fait monter la tension. Dans le calendrier en vigueur en Iran, c'était
le mois de Moharram, mois de deuil religieux.
Le Chah décide d'interdire les manifestations traditionnelles.
Khomeiny enjoint de ne pas hésiter à verser son sang pour
protéger l'Islam et renverser le tyran. Le 1er Décembre,
alors que les grévistes de l'électricité plongent
Téhéran dans l'obscurité, des millions de gens montent
sur les toits des maisons malgré le couvre-feu, et pendant des heures
scandent "Allah est le plus grand". Certains même, hallucinés,
affirment avoir vu le visage de Khomeiny se dessiner dans la lune, et le
Toudéh n'a pas peur d'écrire dans son journal: "Nos masses
laborieuses, en lutte contre l'impérialisme dévorant conduit
par les Etats-Unis assoiffés de sang, ont vu le visage de leur bien-aimé
imam et guide, Khomeiny, le briseur d'idoles, apparaître dans la
lune. Ce ne sont pas quelques grincheux qui pourront nier ce que toute
une nation a vu de ses propres yeux". Certes, les plus hallucinés
n'étaient pas dans les rangs du peuple...
Et ce n'est pas sous l'effet d'hallucinations que les jeunes se battent
dans les rues pendant cinq jours consécutifs, alors que l'armée
tire, et que les journalistes voient des employés municipaux laver
le sang dans les rues à grands jets d'eau, sous la surveillance
des chars.
Lors des journées dites de Tassua et Achura, les 10 et 11 Décembre,
l'ayatollah Taleghani appelle à une procession et la plupart des
organisations d'opposition, le Front National, les associations des professions
libérales, etc. appellent à s'y joindre. Et si le peuple
des quartiers pauvres, en particulier ses jeunes et ses très jeunes,
continue de fournir les participants les plus actifs, cette fois les gens
des classes moyennes occidentalisées, des femmes élégantes,
des messieurs en beaux manteaux et en cravates, descendent des quartiers
plus calmes pour marcher aussi à travers la capitale. Le 10, une
foule évaluée à un million et demi, ou deux millions
de personnes ; le 11, encore plus de monde, y compris parfois des militaires,
sont rassemblés. Les femmes musulmanes, dont la masse est constituée
par les femmes des bazaris, défilent en rangs séparés
de ceux des hommes, tout en noir dans leur tchador. Mais il se trouve aussi
bien des intellectuelles, des médecins, des professeurs, pour s'emprisonner
elles-mêmes dans cette tenue - pour retrouver, disent certaines,
leur "iranité" et communier avec le peuple dans l'allégeance
à Khomeiny...
L'armée, qui a dû s'abstenir d'intervenir à Téhéran
pendant ces deux jours, se venge sauvagement en province dans les jours
suivants. Elle déclenche un massacre à Ispahan, tire sur
les personnes qui vont donner leur sang dans les hôpitaux, poursuit
les brancardiers jusque dans les salles. A Machad, les militaires attaquent
carrément l'hôpital, tuent, blessent et saccagent. Même
les médecins ex partisans du Chah finissent par se révolter.
La foule, elle, lynche le chef local de la Savak.
17.
Le retour de Khomeiny en Iran : avec l'accord des
chefs de l'armée
Au début de 1979, le Chah trouve un grand bourgeois, Chapour Bakhtiar,
en rupture de ban avec le Front National, pour former un gouvernement civil.
Mais le 11 Janvier, tout un symbole, c'est Washington qui annonce que le
Chah va prendre des vacances à l'étranger... Il part effectivement
le 16, et l'Iran va vivre deux semaines dans l'attente du retour de Khomeiny.
Le 19, Khomeiny ordonne une grande manifestation qui réclame
le départ de Bakhtiar et l'établissement d'une République
Islamique. Ce n'est qu'alors, le 22 Janvier 1979, que les Feddayins organisent
une manifestation indépendante. Auparavant, ils avaient toujours
défilé derrière les portraits de Khomeiny. Cette manifestation
rassemble dix mille personnes, que les bandes d'activistes, ou plutôt
de gros bras islamiques, attaquent au cri bien significatif de "Il n'y
a pas d'autre parti que le parti de Dieu".
Le retour de Khomeiny en Iran donne lieu à un immense déferlement
humain de plusieurs millions de personnes, de l'aéroport jusqu'au
grand cimetière au sud de la ville, où l'ayatollah prononce
un long discours dans lequel il s'adresse particulièrement aux sommets
de l'armée: "Nous voulons que vous soyez indépendants,
monsieur le général, monsieur le colonel, préférez-vous
être des valets? Nous avons dit à votre place que nous ne
voulions pas que l'armée soit dominée par les Américains,
que nous voulions que vous soyiez maîtres chez vous... Qui a dit
que nous allions vous supprimer? Nous voulons garder l'armée, mais
une armée qui soit au service du peuple, pas des autres".
Il est difficile d'être plus clair. Khomeiny voulait arriver au
pouvoir avec l'accord des chefs de l'armée. Significativement, il
avait attendu le feu vert de l'armée pour revenir en Iran, c'est-à-dire
que concrètement elle cesse de bloquer l'aéroport. Il y avait
fallu des manifestations populaires, mais Khomeiny avait attendu le temps
nécessaire. Jamais il n'a été question pour lui de
porter atteinte à l'armée. Quand l'état-major ordonnait
des massacres à répétition, c'est les mains nues qu'il
envoyait la population contre une armada de blindés.
A Neauphle-le-Château, il s'opposait à certains de ses
conseillers qui parlaient de résistance armée. Un de ses
messages enregistrés sur ses fameuses cassettes vaut la peine d'être
cité: "... Comment (les soldats) peuvent-ils refuser d'obéir
quand ils sont tenus par la discipline de l'armée? Mais le jour
viendra où ils se libéreront de la discipline du Diable pour
rejoindre celle de Dieu. Si on leur ordonne de tirer sur vous, dénudez
vos poitrines. Votre sang et l'amour que vous leur manifesterez en mourant
emporteront leur conviction. Le sang de chaque martyr réveillera
des milliers de vivants".
De l'Etat du Chah, il ne lui importait que de couper la tête,
en somme. Il ne fallait pas que les masses en révolution risquent
d'en briser le bras armé. Le nouveau régime pouvait en avoir
besoin!
Sur ce point décisif, aucune force ayant une existence sensible,
et pas davantage les Feddayins que les autres, ne s'est distinguée
de la politique de Khomeiny.
On peut pourtant penser que, vu l'ampleur et la détermination
du mouvement populaire, des initiatives en direction des soldats en vue
de faire passer une partie de leurs armes dans les mains de la population
auraient pu être possibles.
On peut d'autant plus le remarquer que la-gauche iranienne avait dans
le passé déclaré vouloir amener le peuple à
la lutte armée...
Alors même que le Chah est enfin parti, que le "Conseil de Régence"
qu'il a laissé derrière lui ne représente absolument
rien, que les manifestants s'exaspèrent et commencent parfois à
réclamer des armes, Khomeiny et son entourage sont en contact avec
des représentants des Etats-Unis et les chefs de l'armée;
ils négocient une passation de pouvoir en douceur.
18.
Février 1979 : l'insurrection de Téhéran
L'intervention des masses va couper court à ces négociations
secrètes. C'est l'insurrection de Téhéran, les 9,
10 et 11 Février 1979, qui, au prix de nouvelles vies, contraint
finalement Bakhtiar à céder la place au contre-gouvernement
khomeinyste présidé par Bazargan.
Le soir du 9 Février, les soldats d'élite de la Garde
Impériale, baptisés les "Immortels", lancent une expédition
punitive contre une base de l'Armée de l'Air, dont un millier de
militaires se sont la veille ralliés publiquement à Khomeiny.
La population alertée arrive en masse au secours de ceux-ci. C'est
le point de départ de l'insurrection. Toute la ville se soulève.
La foule prend d'assaut les dépôts d'armes, les bâtiments
publics, les commissariats, les casernes, les uns après les autres.
Des barricades surgissent un peu partout. Des enfants attaquent des chars
avec des cocktails Molotov.
Très souvent, Feddayins et Modjahedines sont à l'avant-garde,
voire à l'initiative des différentes actions. Le peuple insurgé
se rend enfin maître de Téhéran.
Le 11, les chefs suprêmes de l'armée annoncent leur neutralité.
Bazargan déclare à la télévision: "Le chef
d'Etat-major, dans un entretien personnel, a affirmé sa collaboration
avec mon gouvernement". C'est de l'Etat-major que l'équipe de
Khomeiny entendait en effet voir venir la décision. Et Bazargan
demande aux citoyens d'accueillir les "frères soldats et officiers".
Le lundi 12 Février 1979, la monarchie est abolie en Iran. Bazargan
s'installe dans le palais du Premier Ministre.
L'insurrection de Téhéran avait de quoi inquiéter
Khomeiny. Il ne l'avait ni préparée, ni voulue.
En 48 heures, la population de Téhéran en armes a imposé
ce qu'elle n'avait pas pu obtenir par des mois de manifestations pacifiques.
Malheureusement, ce qu'elle a imposé, ce n'est pas son propre
pouvoir.
19.
Khomeiny établit sa dictature contre la population
qui l'a porté au pouvoir
La révolution aussitôt commencée est aussitôt
déclarée terminée par ceux qu'elle a portés
au pouvoir.
Khomeiny ordonne d'empêcher que "les armes tombent aux mains
des ennemis de l'Islam". "Je n'ai pas encore donné l'ordre du
djihad", proclame-t-il (c'est-à-dire de la "guerre sainte" des
musulmans contre les infidèles).
Malheureusement, si les masses populaires de Téhéran ou
d'autres grandes villes d'Iran se sont armées malgré Khomeiny,
c'est tout de même en son nom qu'elles l'ont fait, et pour son compte.
Dès les jours suivants, les Comités mis en place par les
religieux dans les quartiers et les lieux de travail, les Comités
Khomeiny, s'employèrent à poursuivre la récupération
systématique des armes. Les miliciens islamistes eurent le droit
de tirer sur les personnes circulant armées sans autorisation. Dès
le 19 Février, Khomeiny déclarait: "Je n'admettrai pas
l'anarchie".
Parallèlement, l'autre mesure d'urgence du nouveau régime
fut d'appeler "nos chers ouvriers , comme disaient les religieux, à
reprendre le travail, en particulier la production pétrolière.
Bien sûr, il fallut sacrifier des têtes, exécuter
quelques fournées d'officiers, de responsables, de policiers et
de savaki trop haïs et trop compromis avec le régime du Chah.
Ce n'était que la part du feu indispensable. L'armée,
certes ébranlée par l'insurrection de Téhéran,
mais que l'état-major, en se ralliant relativement vite, avait préservée
pour l'essentiel, la haute administration et une bonne partie de la Savak,
sortirent de cette épuration globalement intactes. Dès le
18 Avril, Khomeiny proclamait une "journée de l'armée" avec
défilé à Téhéran. En Juin, il annonçait
une amnistie en faveur des militaires et des policiers, et, à partir
de Juillet, il devenait interdit de porter plainte contre eux.
De même, la Savak fut remplacée par la Savama, mais si
le sigle changeait, beaucoup de ses membres restaient les mêmes.
Cependant, la hiérarchie militaire avait été l'enfant
chérie du Chah ; ses membres avaient été formés
aux Etats-Unis, et Khomeiny ne pouvait à juste titre que craindre
des complots de sa part. Ainsi, après le raid américain contre
l'Iran en Avril 1980, on apprit que plus de deux cents militaires iraniens
avaient participé à une conjuration.
Ce problème posé par l'armée fut sans doute l'une
des raisons qui poussèrent Khomeiny à promouvoir et organiser
des corps de répression armés plus directement loyaux à
son régime et à sa personne: le corps des gardiens de la
révolution, les pasdaran, et diverses autres milices islamiques,
recrutées en grande partie dans la jeunesse misérable, et
encadrées par des milliers de mollahs ou d'apprentis-mollahs Ces
milices avaient, de plus, une possibilité d'encadrer et contrôler
la population, ce qui était hors de portée de l'armée.
Durant des semaines, et même des mois, après le renversement
de la monarchie, les villes d'Iran, puis plus tard les campagnes, plus
sporadiquement, connurent un bouillonnement politique et social. Des comités
apparurent dans les quartiers et lieux de travail, généralement
impulsés ou en tout cas pris en mains par des militants islamiques,
mais traduisant en même temps, y compris de façon déformée,
l'aspiration générale de la population à exercer un
certain pouvoir. Mais ces comités, structurés au niveau des
villes sous la direction de religieux, en vinrent à tenir lieu de
police khomeinyste.
Dans les usines, l'effervescence et l'enthousiasme régnèrent
pendant quelques temps. Des sortes de conseils de travailleurs, les Shoras,
apparurent dans un certain nombre d'entre elles. Les ouvriers cherchaient
à détecter les agents de la Savak, revendiquaient pour leurs
salaires, mais aussi pour pouvoir nommer les dirigeants de leur entreprise
lorsque - comme c'était souvent le cas - les anciens avaient mis
la clé sous la porte.
La plupart des Shoras n'étaient pas consciemment des structures
de contestation, même s'il leur arrivait de gêner la production.
Et même si la classe ouvrière put, durant cette époque,
faire quelques pas dans l'apprentissage de la discussion libre et de l'organisation
élémentaire, les militants islamiques conservèrent
en fin de compte le contrôle de ces comités de travailleurs,
qui furent transformés en simples instruments du régime.
Ces comités auraient-ils pu être l'embryon d'organes indépendants
de la classe ouvrière? Peut-être. Mais il aurait fallu que
la gauche, qui y avait des militants, propose une autre politique que celle
de soutenir le nouveau régime.
La première opposition ouverte que le nouveau régime rencontra
fut celle des populations opprimées des différentes minorités,
pour lesquelles l'empire des Pahlavi avait été une "prison
des peuples": dans le Baloutchistan ; le Turkménistan ; le Khouzestan
pétrolier, où la population est en partie arabe et non persane
; et surtout au Kurdistan, avec ses traditions de lutte pour l'autonomie,
sinon l'indépendance, où les organisations nationalistes
réclamaient une forme d'autonomie régionale.
Et puis les couches petites-bourgeoises occidentalisées des villes,
qui s'étaient consciemment ralliées à Khomeiny jusque-là,
se sentirent alors atteintes par l'ordre moral qu'il instaura en l'espace
de quelques semaines. Une des toutes premières, sinon la première
manifestation de rue qui fut critique par rapport à Khomeiny, eut
lieu lorsque celui-ci prétendit imposer à toutes les femmes
le port du voile. Plusieurs milliers d'intellectuelles, employées,
étudiantes, manifestèrent dans la rue en signe de protestation,
le 8 Mars. Les militants islamistes les attaquèrent avec violence.
20. La gauche victime de Khomeiny et de sa propre politique
Il était clair que la liberté d'expression politique n'en
avait plus pour longtemps.
Un référendum eut lieu les 30 et 31 Mars pour ou contre
la "République Islamique", qui ne fut perturbé que dans les
régions demandant l'autonomie. La République Islamique fut
proclamée. Le Toudéh et les Modjahedines avalent appelé
à voter oui.
La gauche et les progressistes continuaient ainsi à courir derrière
Khomeiny et à n'avoir pour politique que d'essayer de se faire admettre
par le nouveau régime.
Les Modjahedines, qui, comme tous les autres groupes notables, avaient
disparu politiquement dans les foules brandissant le portrait de Khomeiny,
se dérobèrent volontairement aux débats d'opinion,
durant le printemps 1979, en particulier radio-télévisés,
pour ne pas "désigner clairement les contradictions idéologiques
propres au front du peuple".
Le 1er Mai 1979, il y eut quatre manifestations distinctes, d'environ
cent mille personnes chacune. La manifestation organisée par le
parti de Khomeiny, le Parti de la République Islamique qui venait
d'être fondé, se plaçait sous le signe de l'anti-communisme,
et le politicien Bani Sadr y invita les travailleurs à renoncer
à l'arme de la grève. Les Modjahedines se réfugiaient
derrière des citations plus ou moins "sociales" du Coran. Le Toudéh
saluait la naissance de la République Islamique. Les Feddayins,
et d'autres groupes plus petits, se placèrent, eux, sous le signe
de slogans hostiles à l'impérialisme, tout en réclamant
pour les travailleurs le droit de grève et le droit de participer
à la rédaction de la Constitution.
Ainsi, seuls les Feddayins tentèrent de se démarquer un
petit peu. Mais il s'agissait bien davantage d'affirmer leur existence
que de s'opposer au régime. Leur thème central d'intervention
était l'instauration d'une "armée vraiment populaire", d'une
"armée pure", comme ils disaient. Et cette épuration "radicale",
ils la réclamaient aux Comités Khomeiny, au gouvernement
Bazargan, à Khomeiny lui-même, qui refusa tout simplement
ne serait ce que de les recevoir...
C'est seulement au mois d'Août, lorsqu'une loi interdit aux journaux
de critiquer la révolution islamique et que le pouvoir fit fermer
un quotidien libéral, que. les organisations progressistes et de
gauche réagirent par des manifestations hostiles. Selon le reporter
du Monde, "le régime a été pris à
partie pour la première fois, aux cris de 'A bas le fascisme'
".
Pas par le Toudéh néanmoins, qui approuva les mesures
contre la liberté de la presse! Il est vrai que, poussant toujours
l'allégeance le plus loin, il garda également le silence
sur la répression des minorités nationales, commencée
dès la fin Mai contre les Arabes du Khouzestan.
A la fin de l'été, Khomeiny envoya l'armée contre
les Kurdes. Le siège de la ville de Mahabad fit environ six cents
morts. Les Gardiens de la Révolution fusillèrent à
tour de bras.
Le point final à la mise en place de la nouvelle dictature vint
alors. Les organisations de gauche furent interdites et leurs locaux furent
assaillis par les miliciens de Khomeiny - les nervis du Parti de la République
Islamique, qui se réclament du "parti de Dieu", les Hezbollahi.
L'alignement quasi-complet derrière Khomeiny n'avait servi à
rien aux partis de gauche, même pas à protéger leur
existence formelle.
21. L'affaire de l'ambassade américaine : Union
sacrée autour de Khomeiny
Pourtant, le 4 Novembre, survint un nouvel événement. Des
étudiants Khomeinystes occupèrent l'ambassade américaine
de Téhéran, prenant son personnel en otage, pour réclamer
l'extradition du Chah, alors à New York.
Cette prise d'otages américains dans leur "nid d'espions", comme
disaient les Khomeinystes (une ambassade protégée telle une
véritable forteresse en pays ennemi), apparut comme un défi
spectaculaire.
La crise, qui se prolongea pendant l'année 1980, vit des grandes
manifestations anti-américaines à travers l'Iran. Les groupes
démocratiques, progressistes, de gauche, refirent acte d'allégeance
à Khomeiny, sous le prétexte que cette affaire prouvait malgré
tout qu'il était anti-impérialiste.
Les Feddayins organisèrent des marches devant l'ambassade, ralliant
les étudiants islamiques. Ce qui n'empêchait pas les Hezbollahi
de les attaquer aux cris de "Nous ferons de l'Iran le cimetière
des Feddayins", à quoi. ceux-ci se contentaient de répondre
: "Nous ferons de l'Iran le cimetière des Américains".
Au début de 1980, la majorité des Feddayins abandonna
le soutien armé qu'ils apportaient aux Kurdes, et collabora avec
le régime, aux côtés du Toudéh.
Celui-ci fit voter oui au référendum d'approbation de
la Constitution que les experts Khomeinystes venaient de mettre au point
- ce que ne firent même pas les Modjahedines. C'était une
Constitution réactionnaire même par rapport à celle
de 1906. Elle pose en principe que la tâche de diriger est réservée
exclusivement aux représentants de Dieu sur la terre. Pour le Toudéh,
le programme de Khomeiny "recoupait" le sien "point par point".
Le premier président de la République islamique, élu
le 25 Février 1980, Bani Sadr, poursuivit la répression contre
les Kurdes et contre la jeunesse universitaire. Les bureaux des organisations
politiques dans les universités furent fermés de force, des
Hezbollahi armés se déchaînèrent sur les campus,
brûlant la littérature de gauche, faisant des dizaines de
morts, tandis que des étudiants de gauche se plaignaient de ce que
les balles qui les atteignaient eussent été mieux placées
dans le corps d'Américains...
22. La guerre contre l'Irak et la stabilisation de la
dictature
Le 22 Septembre 1980, l'Irak, hostile au nouveau régime et désireux
se poser en relais du Chah comme gendarme de la région, attaqua
l'Iran. Un mois plus tard, l'armée irakienne s'était emparée
du port pétrolier de Khorramshar. La guerre qui se déclenchait
ainsi suscita en Iran un profond réflexe nationaliste. Les volontaires
affluèrent, y compris des Modjahedines, des Feddayins ; l'armée
des volontaires, encadrée par les Gardiens de la Révolution,
devint une armée parallèle, une armée des pauvres,
inexpérimentés, mal armés, très jeunes, mais
qui, par son ardeur et ses sacrifices, permit à l'Iran d'abord de
résister, ensuite de contre-attaquer.
La guerre et la mystique nationaliste permirent au régime de
militariser la vie sociale. Au nom de l'effort de guerre, les ouvriers
qui réclamaient ou, pire encore, qui se mettaient en grève,
furent mis au ban de la nation, désignés à la vindicte
des pauvres sans travail et des familles des morts sur le front. Des milices
contrôlèrent les usines. Le Toudéh et ses alliés
appuyèrent l'appel à la production et aux sacrifices des
travailleurs.
La guerre permit donc au régime de s'en prendre de front à
la classe ouvrière.
Et elle permit à Khomeiny d'en finir avec l'organisation des
Modjahedjnes.
Et pourtant ceux-ci ne se résolurent à rompre franchement
avec Khomeiny qu'en Juin 1981, lorsque, comme leur leader Massoud Radjavi
l'a lui-même indiqué, "il n'y eut plus d'autre solution possible".
La répression contre eux fut particulièrement acharnée
; ce fut une guerre d'extermination dans laquelle plusieurs milliers de
Modjahedines, ou baptisés tels, périrent, souvent sous la
torture, et des dizaines de milliers furent emprisonnés.
Ils se retrouvèrent réduits à une politique d'attentats
terroristes vengeurs, atteignant spectaculairement une série de
puissants du régime. Et leur seule perspective politique consista
alors à s'allier avec l'ex-président Bani Sadr, évincé
par Khomeiny en Juin 1981. Ils se réfugièrent d'ailleurs
ensemble en France.
De toute façon, le régime de Khomeiny ne peut tolérer
aucune concurrence politique, et finalement même pas l'existence
d'un parti aussi larbin que le Toudéh.
Le tour de celui-ci vint en Février 1983. Mille cinq cent dirigeants
et cadres furent arrêtés et beaucoup fusillés. Moins
d'un an auparavant, son secrétaire général avait adressé
aux plus hautes personnalités du régime une lettre ouverte
dans laquelle il écrivait notamment: "Frères honorables
... vous n'êtes pas sans savoir qu'après la victoire de la
révolution, le parti Toudéh d'Iran a repris ouvertement ses
activités suivant la ligne de l'Imam Khomeiny, le guide de la révolution(...
Vous savez pertinemment que notre rôle fut considérable dans
la dénonciation des complots du front uni des contre-révolutionnaires"
(il s'agit des gauchistes, des Modjahedines et de Bani Sadr essentiellement)
"et ce grâce à notre expérience et à notre
connaissance politico-sociale".
Lors de la répression, un de ses dirigeants déclara: "Aujourd'hui,
même après l'arrestation de nos dirigeants, notre politique
d'appui à la révolution islamique n'a pas changé".
23. Nationalisme et démagogie populiste au service
d'une dictature réactionnaire
Khomeiny a pris le pouvoir sous le double signe du nationalisme et de la
religion.
Sa force a été de pouvoir utiliser tout un réseau
qui servait, depuis des siècles, de force conservatrice au service
d'une société d'oppression et d'exploitation, celui du clergé
chiite, pour encadrer une mobilisation massive et profonde des couches
populaires lancées à l'assaut de la dictature.
Sa force a été de pouvoir utiliser une idéologie
réactionnaire, moyenâgeuse, comme drapeau d'une révolte
populaire contre l'oppression, l'injustice et la tyrannie.
Il a joué sur les préjugés religieux largement
répandus et anciens. Mais il a joué aussi sur les aspirations
à la liberté et à la justice. Il a su mélanger
les uns et les autres, et dans un premier temps tout au moins, sembler
donner satisfaction aux uns et aux autres.
Khomeiny a triomphé parce qu'il a apporté aux pauvres
un sentiment de revanche sociale. Le régime a mis ceux qu'il appelle
les "déshérités" au premier plan de sa propagande.
C'est parmi les sans-travail, les misérables, qu'il a recruté
ses miliciens, les militants de ses Comités. Ce n'est certes pas
pour autant que la population détenait le moindre pouvoir, mais
ces positions ont apporté sans doute, en tout cas à une partie
d'entre elle, la satisfaction d'être au moins considérée.
Aux pauvres, il a apporté aussi un sentiment de revanche politique.
Il est devenu l'incarnation du défi des masses populaires d'Iran
à la première puissance mondiale, les Etats-Unis d'Amérique.
Pendant 8 ans l'Iran était en guerre, non avec les Etats-Unis,
mais avec l'Irak, un autre pays musulman, un autre pays pillé par
l'impérialisme. Cette guerre a eu pour effet de stabiliser le régime
; le front, les diverses milices, la bureaucratie de l'Etat emploient de
larges fractions de la population et les religieux, en répartissant
un minimum de moyens de subsistance, ont renforcé le réseau
d'assistance sociale autour des mosquées. Mais elle a eu aussi certainement
pour effet d'accroître les difficultés et les misères
du peuple iranien.
Avec les exportations pétrolières et la guerre, les affaires
ont repris pour les entrepreneurs et les bourgeois, le marché noir
est florissant, il y a des possibilités de s'enrichir. Les mollahs
et leur entourage ne sont pas les derniers à se servir.
Houshang Sépéhr
Mars 2001